mardi 26 mai 2009

59e FESTIVAL DE BERLIN – Compétition


59e FESTIVAL DE BERLIN
2009
Paru dans la revue Séquences

Cette fois, ce fut le Pérou (en dépit des apparences)

À chaque édition, on entend le même discours critique envers la compétition berlinoise : où sont les (vraies) vedettes, où sont les grands auteurs? Face aux mécontents, le directeur artistique Dieter Kosslick se montre impassible et réplique par l’achalandage toujours croissant à son événement. Qu’on soit d’accord ou non avec cette philosophie, il demeure que plusieurs devraient envier Berlin, ne serait-ce que par sa capacité à boucler bon an mal an un événement de première classe en dépit de contraintes hors de son contrôle.

Berlin doit composer avec une case horaire ingrate (coincé entre l’American Film Market et Cannes), un tapis rouge hivernal, des vedettes frileuses et une programmation trouée de solutions de rechange. Ses principaux atouts lui sont néanmoins indéfectibles, tant le marché du film, un incontournable pour préparer Cannes et le reste de l’année, que son fidèle public, son circuit de salles parfaitement adaptées à l’ampleur de la manifestation, son organisation irréprochable et sa fréquentation abordable, pour les Allemands comme les étrangers.

Le talon d’Achille de la Berlinale demeure malgré tout la difficulté de respecter sa ligne éditoriale axée sur les valeurs sociales et politiques, et les propositions de cinéma originales. Cette année encore, les programmateurs ont mis autant d’emphase sur la pétarade à l’américaine The International de l’enfant prodigue Tom Twyker, que le pamphlet schématique London River de Rachid Bouchared.

Les festivaliers ont eu la surprise de remarquer quelques récréations d’intérêt divers parmi les prétendants à l’Ours d’or, tels que le fantaisiste Ricky de François Ozon, un habitué de la Berlinale, ou l’éloquent Chéri de Stephen Frears, une comédie dramatique période Belle Époque dans laquelle Michelle Pfeiffer confirme son éclatant retour dans une production digne de ce nom, aux côtés du jeune Rupert Friend, étonnant dans son rôle de Dandy précoce tiré tout droit d’Oscar Wilde.

Berlin tenta à nouveau de nous imposer Annette K. Olesen (Little Soldiers) ou Lukas Moodysson (Mammoth) comme les voix les plus représentatives de l’avant-dernière génération de cinéastes de calibre mondial, même si on serait plus que tenté de leur reprocher leur insistance. Le surestimé Moodysson proposa une parabole massue des effets de la mondialisation sur les familles post-nucléaires en exploitant sans imagination le potentiel international de ses têtes d’affiches Gael García Bernal et Michelle Williams. Sinon, quelques anciennes gloires en panne sèche comme Costa-Gravas, Bertrand Tavernier, Theo Angelopoulos, Andrzej Wajda, Chen Kaige ou Sally Potter ont bien tenté d’injecter un peu de lustre à la compétition, mais en répétant des formules frisant l’auto-parodie.

Il a fallu qu’un peu de sang neuf vienne secouer les puces d’une sélection tirant dangereusement vers le bas pour faire renaître l’espoir que Berlin puisse encore dégoter quelques pépites de cinéma. Depuis Whisky et Acné, on avait appris à ne plus ignorer les productions artisanales parvenant à sortir d’Uruguay. Gigante, le premier long métrage de Adrián Biniez, est fait du même bois que ses compatriotes et maximise les effets comiques à partir d’une trame fort simple et accrocheuse, l’attrait que développe un gardien de supermarché pour une collègue chargée de l’entretien, qu’il observe et apprend à connaître à son insu par les caméras de surveillance. Écartant le sordide d’Alexandra’s Project et l’aliénation des films d’Atom Egoyan, Gigante dissémine quelques rires francs avec un scénario minceur plus habile qu’il ne paraît.

Le jury présidé par Tilda Swinton décerna avec clairvoyance l’Ours d’or à The Milk of Sorrow (La teta asustada) de Claudia Llosa, la première sélection péruvienne de l’histoire du festival, également la plus satisfaisante surprise de la compétition. Déjà sortie de l’ombre avec son premier essai Madeinusa, Llosa, la fille de l’écrivain Mario Vargas de Llosa, raconte avec un symbolisme omniprésent la lutte de Fausta, une jeune péruvienne aux prises avec les symptômes du ‘lait effrayé’, une maladie psychosomatique affligeant les femmes violentées ou abusées durant le terrorisme des années 1980 au Pérou. Vivant dans les bidonvilles en périphérie de Lima, Fausta doit affronter le monde moderne et devenir femme de ménage d’une riche pianiste de la cité afin de pouvoir payer les funérailles de sa mère, dont le cadavre commence à pourrir chez ses cousins.

Il sera question de patate insérée dans le vagin pour décourager les violeurs potentiels, de chants aux paroles évocatrices et de mariages simultanés dans ce film évocateur d’une véritable démarche féminine (et non féministe), d’un œil aiguisé pour les cadres dynamiques et d’un talent de conteuse hors pair. Le festival n’aurait pu trouver meilleur ambassadeur de ses visées avec The Milk of Sorrow, déjà cofinancé par le World Film Fund de la Berlinale lors d’une précédente édition.

© Charles-Stéphane Roy 2009