mardi 26 mai 2009
59e FESTIVAL DE BERLIN – Hors compétition
59e FESTIVAL DE BERLIN
2009
Paru dans la revue Séquences
Le Québec fut plutôt discret lors du dernier Festival de Berlin. Malgré tout, C’est pas moi, je le jure! de Philippe Falardeau s’en est tiré avec deux prix dans une section parallèle, tandis que le documentaire fleuve L’encerclement de Richard Brouillette capta l’attention des critiques. C’est pourtant dans ces volets périphériques que les véritables découvertes s’opèrent.
Forum et Panorama sont les deux sections les plus recherchées pour quiconque souhaite repérer les talents en émergence à Berlin. La sélection 2009 de ces programmations alternatives ne fut pas souvent à la hauteur des attentes, bien que quelques titres soient parvenus à capter l’attention de la critique, des programmateurs de festivals et des acheteurs internationaux. Certains noms connus comme Catherine Breillat, Julie Delpy, Michael Winterbottom, Tom DiCillo et Hans-Christian Schmid étaient de la partie, mais n’ont pas généré l’intérêt que leur statut d’auteurs exportables permettait d’anticiper.
La Danoise Lone Scherfig (Italien pour débutants) est revenue au Royaume-Uni tourner une fois de plus dans la langue de Peter Brook, sept ans après le mitigé Wilbur Wants to Kill Himself, afin d’adapter un roman populaire cautionné par le recherché Nick Hornby (About a Boy, High Fidelity). Misant sur un casting d’enfer – le redoutable Peter Sarsgaard, l’impayable Alfred Molina, la discrète Emma Thompson et surtout l’éblouissante Carey Mulligan, à surveiller – Scherfig opta pour la sage lecture d’une affaire de mœurs débridée des années 1960 qui risquera d’alarmer encore plusieurs parents, surtout en Amérique, malgré le désamorçage calculé des éléments controversés par une direction d’acteur assurée et un traitement de bon goût.
Un chat un chat, le 4e long métrage de l’actrice Sophie Fillières, a séduit autant qu’il a semblé enragé le public, dans la lignée d’Aïe, son seul film distribué au Québec. Une Chiara Mastroianni revigorée squattait tous les plans de cette fantaisie pas toujours heureuse dans laquelle une écrivaine tente de retrouver l’inspiration malgré une admiratrice un peu trop insistante.
Rythme inégale, répartie qui tombe parfois à plat et autres déformations propres au cinéma français minèrent ce qui aurait pu s’avérer malgré tout une fort agréable balade dans l’imagination de cette véritable cinéaste du champ gauche, à classer autant avec Valeria Bruni-Tedeschi que les premiers Bruno Podalydès.
So Yong Kim a profité de la plateforme allemande pour présenter son second film, Treeless Mountain, mais aussi son premier tourné dans son pays natal, la Corée du Sud. Proche de cœur du Nobody Knows de Kore-eda, le film de So Yong repose entièrement sur deux fillettes de moins de 7 ans, dont la mère disparaît et leur tante alcoolique les laissent vagabonder seules à travers Séoul afin de retrouver la trace de leur père, qu’elles n’ont jamais connu. Coproduction entre la Corée et les Etats-Unis, Treeless Mountain tire profit des souvenirs de la cinéaste comme du jeu spontané de ses jeunes actrices, toutes deux non-professionnelles, et de la proximité de la caméra sur le mode du cinéma-vérité.
Deux films sont néanmoins parvenus à se démarquer véritablement du lot cette année, des œuvres inattendues parmi plusieurs signatures exagérément hermétiques (Land of Scarecrows du Coréen Roh Gyeong-Tae en tête). Figure de proue du renouveau indie émergeant d’Austin, Texas où Richard Linklater semble avoir semé les germes d’un cinéma ‘néo-slacker’ tout aussi radical qu’à ses débuts, Andrew Bujalski a déballé l’inénarrable Beeswax à Berlin quatre ans après avoir consumé sa lune de miel avec les critiques américaines suite à Mutual Appreciation.
Le film, qu’on pourrait facilement confondre avec un exercice étudiant longue durée de par sa facture technique et son casting profil bas, se démarque par une utilisation poussive des transitions, alors que le rythme et l’histoire semblent constamment bousculés par l’avant, mais aussi par son allégeance au mouvement ‘mumblecore’, ou ‘marmonnement extrême’, au sein duquel les membres s’échangent fonctions et responsabilités d’une production à l’autre, créant un cinéma volontairement peu sexy, dont l’hésitation et le déluge de dialogues forment les traits communs.
La véritable surprise survint toutefois d’une autre production américaine, le long métrage documentaire Sweetgrass de Lucien Castaing-Taylor et Ilisa Barbash, mieux connus des galeristes et des départements d’anthropologie que des festivaliers. Inspiré par des vidéos d’art préparatoires au sujet des derniers gardiens de troupeaux de moutons du Midwest, le film témoigne du quotidien d’un élevage faisant route à travers les pâturages et les villages du Montana, dévalant les montagnes d’Absaroka-Beartooth sur près d’une centaine de kilomètres.
Avec des moyens évoquant Pierre Perrault et Albert Maysles, le duo enchaîna des plans époustouflants d’une marée de moutons envahissant l’écran, entrecoupés de moments d’intimités souvent inusités en compagnie des gardiens de troupeaux, qui semblent ici escortés à leur tour par leurs bêtes, perdant quelquefois le contrôle dans des conditions évoquant un Far West toujours vivant. Voilà comment le genre documentaire parvient à accoucher du meilleur western produit depuis 20 ans.
© Charles-Stéphane Roy 2009