lundi 2 février 2009

Critique "Frozen River"


FROZEN RIVER
de Courtney Hunt
2009
Paru dans la revue Séquences

Grand gagnant au dernier Festival de Sundance, Frozen River est un film-somme de ce que peut, et ce qui représentait jadis l’authentique cinéma indépendant américain, c’est-à-dire un témoignage personnel scotché à la réalité de son sujet. À la fois influencé par les téléfilms d’après-midi et les structures narratives martelées au Sundance Lab, cette première œuvre de Courtney Hunt, devenue réalisatrice en côtoyant autant Paul Schrader que Bette Gordon, répond à ce credo avec ce portrait sensible et schématique d’une Amérique se réconciliant avec le malheur ordinaire.

La trame elle-même positionne le film à gauche du spectre indépendant, au milieu du capharnaüm de Ray Eddy, une commis de magasin à 1 dollar incapable de mettre de l’ordre dans sa vie et son ménage suite à une énième cavale de son ivrogne de mari, la confinant à sa maison mobile qu’elle partage avec ses deux fils, dont le plus vieux flirte pour la première fois avec la tentation du gain facile.

La menace de perdre sa mise de fond sur une maison préfabriquée la pousse à forcer une Mohawk encore plus dépourvue qu’elle à transporter des émigrants illégaux de l’État de New York au Québec en traversant le fleuve gelé du Saint-Laurent en voiture. L’opération fonctionne le temps de raviver tous leurs espoirs avant de s’engloutir dans des détours impliquant leurs propres enfants.

Tout le charme et l’efficacité de Frozen River tient étonnamment dans son incapacité à présenter des plans classiques, des personnages détaillés ou une finale surprise : pour une rare fois, les limites de la cinéaste, également scénariste du film, servent davantage la fatalité de ces femmes et leurs familles, tout aussi bancales et approximatives dans leurs réactions, leur façon de s’exprimer et l’étendue de leurs choix.

La présence au générique de Melissa Leo, figure white trash par excellence ayant personnifié une trentaine de femmes d’arrière-pays dans d’innombrables productions, ajoute au film cet ancrage si crucial dans une réalité inséparable du rêve américain, ce revers paradoxal d’un idéal où l’exclusion économique est la manifestation la plus tangible du melting pot américain, un trou noir social où Blancs, Noirs et autres communautés s’entassent, coude à coude ; où la morale fait rarement le poids face à l’instinct de survie.

© 2009 Charles-Stéphane Roy