lundi 8 octobre 2007

Critique "Election / Election Triad"

Election / Election Triad
de Johnnie To
2007
Paru dans la revue Séquences


Le syndrome chinois


Après trop d’années passées dans l’ombre de John Woo et Tsui Hark, le Hong-Kongais Johnnie To lâche deux bombes sur les Triades et expose tout son talent une fois pour toutes, près de 50 réalisations depuis ses débuts, proposant du même coup au genre une nouvelle valeur-étalon.


Le tandem Election / Election Triad est au film de mafia ce que la série Infernal Affairs a fait pour le film de gangster : un secouage de puces en règle, une relecture hyperréaliste des codes du genre et la preuve par quatre que les Américains mordent aujourd’hui la poussière dans un domaine dont ils avaient pourtant érigés les mythes. Après une période creuse, revoilà Johnnie To touchant à nouveau du bois, comme en font foi Breaking News, le présent dyptique ou Exiled, toujours inédit au Québec. Fidèle à l’industrie hong-kongaise, To ne se contente pas de pousser la proposition du portrait de la société criminelle la moins secrète de la péninsule asiatique avec l’aisance qu’on lui connaît; il n’hésite pas non plus à mixer le tout avec un humour quasi tabou au genre. Du coup, le drame des dirigeants de la Wo Shing, la plus vieille tradition triade de Hong Kong, s’élève à un niveau tragicomique aussi libérateur qu’insolent.


Le premier volet met en scène les prétendants au titre de leader des 50 000 membres du groupe souterrain Wo Shing, qui fait main basse sur les affaires criminelles à Hong Kong depuis toujours. Le placide Lam Lok et l’explosif Big D sont les prétendants les plus sérieux au titre, mais n’utilisent pas les mêmes méthodes pour s’accaparer du trône, le premier ayant recours aux jeux de coulisse ; le second, à la force et l’intimidation. Leur sort est rapidement réglé lorsque les Oncles, un conseil des aînés de la Triade, décide d’avaliser l’accession de Lok au fameux titre, ce qui déclenche l’ire de Big D, décidé à régler l’affaire quitte à diviser la fratrie pour arriver à ses fins. Entre alors en jeu le corps policier, qui souhaite frapper un grand coup en démantelant le réseau par la tête ; tandis que les alliances se multiplient au sein du clan au même rythme que les trahisons, Lok prend les moyens nécessaires pour assurer sa survie et celle de la légendaire société secrète.


Le chapitre final oppose trois ans plus tard Lok, maintenant sur le point de céder sa place après un règne fructueux pour son groupe, et Jimmy, son dauphin récalcitrant, alors que le premier devient à son tour imbu de sa position et que le second se fait mettre en boîte par la police chinoise pour maintenir un équilibre entre les affaires de la Triade et la légalité. Les piliers du Wo Shing en sont à leur dernière heure, décimés par les rêves d’expansion des jeunes héritiers.


Si Election et Election Triad résument le travail de Johnnie To le technicien méticuleux et le directeur d’acteurs affable, c’est dans l’étude des rapports de forces internes et périphériques de la Triade hong-kongaise que ces films atteignent un niveau inégalé au pinacle de son œuvre, portant le diptyque à la dimension de la série des Once Upon a Time in China de son compatriote Hark. Fratricides à souhait, les Election multiplient non seulement les poursuites endiablées, les coups bas, les couteaux et les cadavres, mais proposent de savants allers-retours entre la transmission interrompue d’un collège criminel miné par son code d’honneur classique, et le flou économique en Asie, plateforme plus attirante encore que le strict pouvoir insulaire d’une bande locale, aussi réputée soit-elle.


Sous l’œil de To, la corruption gangrène toute moralité en plein jour comme dans l’obscurité, risquant l’ordre établi entre les malfrats et la justice, mais donnant lieu à des règlements de comptes sournois d’une admirable exécution, procurant peut-être au tandem ses scènes les plus exaltantes et les mieux réussies. Les pires scènes de torture auront d’ailleurs lieu entre membres de la Triade, et non pas avec leurs opposants naturels.


La transition entre le cartel de drogue et de prostitution vers les affaires intracontinentales de DVD piratés et le blanchiment d’argent est également perceptible dans le changement de mentalité et la notion d’ennemi chez le personnage emblématique de Jimmy, playboy consciencieux en quête d’absolution légale. Désirant maintenant amener son racket sur les marchés internationaux, Jimmy se montre plus enclin à frayer en toute liberté avec les autorités qu’à subir les pressions d’une Triade au décorum d’apparat. La finale évoque un système social plus féroce encore que les batailles hors-barbacanes, laissant croire que la légalité procure une légitimité aux manœuvres bassement cupides autrement plus effrayante que celles du crime organisé.


© 2007 Charles-Stéphane Roy