lundi 16 mars 2009

EX-CENTRIS 1999-2009


EX-CENTRIS 1999-2009
2009
Paru dans la revue Séquences

1999-2009 : un cycle de cinéma indépendant s’achève


L’annonce de l’arrêt de la programmation commerciale de films au Complexe Ex-Centris le 13 janvier dernier a semé l’émoi dans la confrérie cinéphile et dans l’industrie du cinéma québécois. Après 10 ans d’indéfectibles services envers le cinéma d’auteur d’ici et d’ailleurs, l’homme d’affaires et mécène Daniel Langlois veut recentrer la mission de son château-fort multimédia du boulevard Saint-Laurent sur des propositions numériques plus diversifiées. Comment le cinéma indépendant, dont la précarité n’est plus à démontrer, survivra-t-il à ce nouveau coup de semonce?

Avant juin 1999, au moment où Daniel Langlois et Claude Chamberlan inaugurent en grandes pompes les trois salles de cinéma du Complexe Ex-Centris, les salles indépendantes, à Montréal comme ailleurs, mouraient les unes après les autres, empoisonnées par l’émergence des premiers multiplexes. Le Complexe Desjardins, l’Élysée, le Berri, le Loews, l’Égyptien et le Faubourg Ste-Catherine, après avoir tenu le coup durant une décennie en dents de scie, ont tous rendu l’âme suite à la dernière grande reconfiguration de l’ère des parcs de salles analogiques – seul le Parisien tiendra le coup jusqu’en avril 2007, largué coup sur coup par Cineplex Galaxy et les Cinémas Fortune.

1999 est une année capitale à plus d’un titre pour le cinéma québécois. D’une part, on assiste, un brin sceptique, à la première édition des Prix Jutra, qui couronnera sans suspense Le violon rouge. De l’autre, l’émergence de Denis Villeneuve avec Un 32 août sur Terre, celle du documentaire engagé avec L'erreur boréale de Richard Desjardins et Robert Monderie, et peut-être celle, plus capitale encore, de la constellation Kino. Alors que Blair Witch Project boucle la boucle de la grande décennie des indies américains à la manière Miramax première mouture et Artisan, celle des indépendants québécois démarre à sa façon. Bélanger, Chouinard, Briand, Turpin, Baril, Jean, Falardeau, spectateurs fidèles du Cinéma Parallèle, suivent Chamberlan dans la relocalisation de sa salle et de son festival à Ex-Centris. La convergence entre moyens et vision tombe sous le sens, ce mariage est voué à de grandes choses.

10 ans plus tard, on doit se rabattre sur un Cinéma du Parc aux assises financières incertaines, un Cinéma Beaubien gonflé à cinq salles, une Cinémathèque et ses contraintes saisonnières, sans oublier un Cinéma Impérial qui n’est encore impérial que quelques jours par année. La distribution numérique tarde à imposer sa domination (mais aussi ses frais d’opération adoucis), les distributeurs limitent leurs acquisitions de cinéma d’auteur, quand ils ne se rabattent pas sur un nombre toujours étonnant d’autoproductions, parfois avec succès (Bluff, 2007). Rien qu’en 2008, l’Association québécoise des critiques de cinéma (AQCC) a recensé pas moins de 70 longs métrages québécois, fiction et documentaires compris, sortis en salles ou en festival, produit ou non avec l’aide des investisseurs culturels. On s’imagine mal comment cette cadence pourrait être rééditée l’année prochaine, et même la suivante, si aucune autre salle dédiée au cinéma d’auteur ne lève de terre.

Pour certains, l’avenir de la diffusion de ce type de cinéma passe par la consommation domestique (vidéo sur demande, web ou DVD); d’autres argueront que le Québec, déjà nanti de Réseau Plus (circuit parallèle de 40 salles indépendantes, souvent à vocation multidisciplinaire), devrait pouvoir jouir d’un organisme comme l’ACID en France (L'Association du Cinéma Indépendant pour sa Diffusion, né la même année que Réseau Plus), dont la programmation et le soutien des films sont assurés par un collège de cinéastes. Quoi qu’il en soit, espérons que les exploitants de salles assez courageux pour récupérer le créneau laissé vacant par Ex-Centris ne feront pas l’erreur d’aménager une programmation conçue des mois à l’avance, comme c’était le cas dans le cas pour les salles Cassavetes, Fellini et le Parallèle, ce qui avait trop souvent imposé interminablement des bides à l’affiche et mis prématurément à la rue d’autres succès en devenir.


CHRONOLOGIE D’UNE MORT ANNONCÉE

Ayant accouché autant d’innovations que de pétards mouillés, Daniel Langlois a, à sa façon, donné un sérieux coup de pouce à la visibilité du cinéma d’auteur québécois et international depuis les débuts d’Ex-Centris en 1999. Voici un bref retour sur 10 ans d’éclats et de changements de cap.

1997
Un an après avoir mis sur pied sa fondation pour les recherches artistiques et scientifiques, Langlois fonde le Complexe Ex-Centris, qui ouvrira ses portes au public en juin 1999, après deux années de travaux sur le boulevard Saint-Laurent, à côté du défunt Cinéma l’Élysée. Des salles de 93, 188 et 271 places sont consacrées au cinéma, la diffusion d'événements multimédias et à des activités corporatives.

1998
Langlois s’associe alors à Claude Chamberlan et abritera les activités du nouveau Cinéma Parallèle. L’édifice de 70 000 pieds carrés hébergera aussi les bureaux de Terra Incognita, le Studio Ex-Centris, Media Principia, la Fondation Daniel Langlois, DigiScreen, les bureaux de Softimage, Inspeck, Pixman, Pixnet et une pléiade d’autres compagnies en nouveaux médias.

2000
Langlois rachète à Don Lobel le Cinéma du Parc, puis Ex-Centris devient le premier complexe cinématographique nord-américain membre de la prestigieuse association Europa Cinémas à peine deux ans plus tard. «Les salles d'Ex-Centris sont les plus belles salles de cinéma au monde», avait alors affirmé Claude Miller au Festival de Cannes.

2002
La même année, Langlois s’associe avec l’Équipe Spectra et Alliance Atlantis au projet de Complexe Spectrum, un vaste complexe de divertissement au centre-ville de Montréal comprenant quatre salles de cinéma, dont l’ouverture est prévue deux ans plus tard. Le projet est mis sur la glace et Langlois se concentre sur les activités du complexe : le Festival du nouveau cinéma, Magnifico, Ciné-Oké, Ciné-Kid et Mutek font les beaux jours d’Ex-Centris et le lieu devient rapidement le refuge des cinéphiles du Québec.

2003
Le réseau de distribution de films numériques DigiScreen voit le jour, mais ses dirigeants peinent à convaincre les propriétaires de salles québécois de l’adopter massivement.

2004
Langlois et Sheila de la Verande, au nom du FNC, répondent à l’appel d’offres de Téléfilm et de la Sodec dans le cadre de l'Appel pour un événement cinématographique à Montréal, offre qui ne sera pas retenue par le comité d’étude. La même année, il crée Digimart, le marché numérique de film et de multimédia, qui sera associé initialement avec le FNC en 2005 avant de voler de ses propres ailes. Langlois s’associe à son tour au nouveau Festival international de films de Montréal (FIFM) de Spectra, qui ne durera qu’une seule édition.

2005
En février, Langlois quitte le FNC avant de fonder avec Robert Lepage la compagnie de production Ex Aequo à Québec afin de réaliser notamment l’adaptation cinématographique de «La trilogie des dragons», un projet qui ne verra jamais le jour. À la fin de l’année, Langlois décide d’arrimer Digimart à la prochaine édition du FNC.

Mais 2005 aura été une année éprouvante au niveau des entrées dans les salles de cinéma d’Ex-Centris et Du Parc, et certains postes sont fusionnés ; la même équipe de programmation s’occupera désormais de l’approvisionnement des films dans les deux cinémas.

Après sept éditions, le mini-festival Magnifico interrompt aussi ses activités annuelles dans le cadre de La Frénésie de la Main, mais on assiste à l’arrivée du festival itinérant Resfest, qui investira Ex-Centris le temps de deux éditions.

2006
Softimage fête ses 20 ans et Terra Incognita met à vendre le Cinéma du Parc, qui sera récupéré par Roland Smith quelques mois plus tard.

2007
En mars, c’est au tour de Digimart de mettre fin à ses activités après deux éditions après avoir contracté un important déficit. Six mois plus tard, la Fondation Daniel Langlois célèbre son 10e anniversaire pendant que le Cinéma Parallèle souffle à son tour ses 40 bougies.

2008
En août dernier, Mark Brennan quittait la direction générale d’Ex-Centris alors que le poste est aboli et que ses fonctions sont partagées entre trois des employés de l’équipe. Pour la première fois en neuf ans, le Festival Mutek quitte également Ex-Centris pour se déployer dans divers lieux de diffusion au centre-ville. Cet automne, le FNC enregistrait le meilleur taux de fréquentation de son histoire, dépassant le cap des 100 000 festivaliers sur l'ensemble de ses sites, dont Ex-Centris.

© Charles-Stéphane Roy 2009