lundi 16 mars 2009
Critique "Derrière moi"
DERRIÈRE MOI
de Rafaël Ouellet
2008
Paru dans la revue Séquences
La vie devant elles
Intrigante virée, en porte-à-faux avec le film d’ados, le suspense, le docudrame, le ‘high concept’ et le socio-réalisme, Derrière moi, la première incursion du touche-à-tout Rafaël Ouellet dans le long métrage subventionné, propose une amorce accrocheuse, mais dont les effets s’essoufflent rapidement.
À peu de choses près, Derrière moi prend le relais du Cèdre penché, l’autoproduction qui a mis Ouellet sur la mappemonde cinéma, au Québec comme à l’étranger (Shanghaï, Mannheim, entre autres). Le village de Dégelis (Bas-Saint-Laurent), une caméra à l’épaule, un générique minceur, deux jeunes filles qui s’apprivoisent, l’appel de la grande ville : l’inspiration de Ouellet semble déjà balisée entre une manière et un décor familiers, aux possibilités vivifiantes – ses deux prochains projets, New Denmark et Camions, prendront également racine dans ce terreau-là.
La promesse de Derrière moi, c’est celle d’un cinéaste en labourage de son art, avec l’expérience du clippeur et la cinéphilie à la clé. Reprenant la formule du tandem féminin, Ouellet retient cette fois ses comédiennes en bride, avec des scènes et des dialogues plus écrits, afin de s’assurer de mener son récit, plus classique qu’auparavant, à une surprise finale sur laquelle repose tout entière la causalité de son film.
Moins opaques qu’elles ne semblent, les intentions de Betty, qui débarque dans un petit village après neuf heures d’autoroute, planent sur l’ensemble de ses rencontres, apparemment fortuites, avec quelques adolescentes à peine plus jeunes qu’elle. Avec ses verres fumés grand format, ses tenues sombres et sa désinvolture intéressée, Betty jure avec la faune locale comme une mante religieuse en mission. L’intérêt du film, on le ressent d’emblée, n’est donc pas de savoir comment sa ballade se terminera (le doute est immédiat), mais de découvrir quand, comment et surtout avec qui l’inévitable se produira.
Le sort se jette rapidement sur Léa, l’incarnation même de l’ingénue, et sa féminité inévitable – Betty ne pourra pas elle-même s’empêcher de lui témoigner son impressionnante beauté à quelques occasions. Mais aussi photogénique soit-elle, la vie de village à 14 ans, coincée chez une grand-mère à travailler à temps partiel dans une cantine, n’est pas la plus propice pour réaliser son potentiel ou même seulement ses envies. Si Léa vivra éventuellement la frénésie des premières fois – le premier baiser, le premier trip de drogue, la première fugue – par l’entremise de Betty, elle recherche avant tout la présence d’une complice, d’une confidente et d’une sorte de mentor, non pas par manque de frissons, mais plutôt par peur de paraître bêtement coincée.
Derrière moi s’applique par la suite à respecter une logique étapiste pour faire basculer Léa de l’autre côté du miroir, elle qui s’appliquera à être et faire comme Betty. En plus de démontrer une authentique assurance à dépeindre avec peu d’images et d’explications un milieu dans lequel doivent fleurir nombre de jeunes filles comme Léa, le cinéaste parvient à instaurer une dynamique bien concrète entre l’idole et sa disciple; à cet égard, il n’est pas surprenant que les scènes les plus justes du film soient celles durant lesquelles les deux personnages s’examinent l’une et l’autre de leur côté, opérant plus d’une fois le jeu du transfert d’attitude et de personnalité (Betty doit se mettre au niveau de Léa pour gagner sa confiance, et vice-versa).
Pourtant, à l’image de Betty, quelque chose cloche dans le film pour que le charme n’opère vraiment, ce quelque chose qui emmènerait le spectateur à accepter de se faire manipuler à son tour par la séductrice, ou, mieux encore, de vouloir s’enfuir plutôt que d’accompagner l’agneau à l’abattoir. D’une part, le jeu approximatif des comédiennes ne pardonne pas et transforme les dialogues en récitations parfois scolaires, un irritant majeur alors que chaque réplique est vitale dans l’exécution minutieuse de n’importe quel jeu de persuasion. De l’autre, les personnages sont par trop rectilignes pour se soucier réellement de leur sort.
Enfin, la réalisation du film, bien qu’elle propose des compositions bienvenues par moments, balance trop souvent entre l’exploration formelle et la fidélité à la relation qui se transforme sous nos yeux pour accoucher d’un résultat réellement implacable comme le commande ce genre d’histoire. Que ce soit par souci d’économie ou d’indépendance éditoriale, Ouellet a misé gros en prenant seul à son compte l’écriture, la réalisation, le montage et la caméra (malgré que Pascal L’Heureux soit aussi crédité à ce département), alors que la direction d’acteurs aurait normalement dû occuper une place prépondérante dans son cahier de charges. Film d’auteur à 100 %, Derrière moi ne donne pas moins l’impression que le résultat ne surpasse jamais les promesses de sa prémisse, aussi béton soit-elle.
© Charles-Stéphane Roy 2009