mercredi 23 juillet 2008

Mutek 08


Mutek 08
2008
Paru dans la revue Séquences

Archivage et échantillonnage, même combat

Si le cinéma et la musique ont toujours fait bon ménage, leur relation fusionnelle (Warner et Universal éditent films et chansons) donne parfois lieu à des trafics d’influence pouvant accélérer l’évolution de leurs pratiques respectives. La 9e édition du Festival Mutek, un événement alliant recherche et performance en musique électronique, a tracé d’intéressants corollaires entre les revendications des documentaristes et ceux des DJs.

Un vendredi matin dans la salle de répétition du Théâtre du Nouveau Monde, une poignée de jeunes loups du milieu de la musique indépendante assiste à l’un des panels de Mutek 08 sur la mince frontière toujours existante entre la création et le pillage numérique. Des artistes, des DJs et des créateurs de logiciels de remix participent à la discussion. Entre le droit à l’expérimentation et le droit d’auteur, il n’y a qu’un pas – et quelques zones grises législatives – que les musiciens avouent franchir allègrement.

Les paradoxes et les limites de l’échantillonnage sont nombreux, en techno comme en vidéoscratching ou en VJing. Faire référence à une image, une mélodie, un fragment de dialogue ou un costume est-il différent de ‘copier’ intégralement ces éléments? Selon le fondateur québécois du site Relabmusic.com Jordan Wynnychuk, qui a mis au point un logiciel de musique interactive dont les droits de certains échantillons sonores ont été préalablement acquittés, le cœur du problème se situe dans l’interprétation et la nuance juridique entre les notions de droits de diffusion (négociés avec les compagnies de disques) et de droits d’exploitation (lorsque les échantillons sont reformatés et commercialisés sous un nouvel emballage).

Wynnychuk et bien d’autres entrepreneurs de la génération Web 2.0 ont relevé que les nouvelles technologies ont engendré un nouveau rapport avec la musique, non seulement pour les consommateurs, mais aussi chez les artistes, alors que certains permettent l’utilisation complète de leur matériel, tandis que d’autres, surtout des vedettes établies, préfèrent que leur compagnie de disques empêchent quiconque de s’en approprier.

La même situation peut être observée au cinéma. Utiliser un extrait de Star Wars est beaucoup plus onéreux que d’avoir recours aux images d’un film de Lucie Lambert, à moins de connaître personnellement les détenteurs des ayant-droits. D’une bataille contre le vol, la logique marchande a transformé sa croisade en lutte à la gratuité.

Si on peut pénaliser un musicien d’avoir utilisé un motif musical de moins de deux secondes étranger dans une chanson, peut-on accuser un producteur d’avoir mis sur le marché un film possédant une trame narrative similaire à celle d’une œuvre antérieure? À plus forte raison et à titre d’exemples, est-ce que Clean d’Olivier Assayas aurait vu le jour si Martin Scorsese n’aurait pas réalisé Alice Doesn’t Live Here Anymore vingt ans plus tôt? Est-ce que les frères Weinstein auraient pu aussi se payer les droits d’auteur de tous les emprunts directs ou indirects contenus dans les films de Quentin Tarantino?

La notion de plagiat étant avant tout une question de culture, celle-ci se métamorphose d’un pays à l’autre, causant ainsi des maux de tête aux multinationales. Le Canada, qui vient enfin de mettre à jour sa politique sur le droit d’auteur pour englober le téléchargement numérique, a accouché de mesures à l’image de sa loi sur le vol et le récidivisme, si bien que les sentences proposées sont fixées avec un maximum de 500 $.

En France, où la définition de liberté individuelle est l’une des trois mamelles du credo national, les avocats s’arrachent les cheveux pour adopter une charte restrictive sans qu’un groupe de pression ne déclenche de désapprobation médiatique.

L’Américaine Larisa Mann, alias DJ Ripley, qui voit ses sets piratés durant ses performances et déposés sur le Net quelques heures plus tard, a reconnu dans le cinéma documentaire un exemple à suivre pour la communauté de musiciens indépendants. «Peut-être devrions nous faire comme les cinéastes du documentaire et nous regrouper pour faire du lobbying et participer à la définition des paramètres d’utilisation des archives, a-t-elle évoqué lors de Mutek 08. Ou redoubler d’imagination comme en Angleterre et faire des mixes avec les plus récentes pièces des années 1950 dont le copyright vient d’être expiré...»

Crédit photo: Kat Wade
© 2008