mardi 18 mars 2008

"7IiBF": entretien avec Yang Fudong

Entretien avec Yang Fudong
2008
Paru dans la revue Séquences


Les 4e et 5e parties de la pentalogie Seven Intellectuals in Bamboo Forest étaient présentés dans la section New Frontiers du Festival de Sundance en janvier 2008. Bien que Yang Fudong n’ait pas accompagné ses films en Utah, Séquences a pu le contacter en Asie, où il s’apprêtait à célébrer le nouvel an chinois.


Pourquoi avoir eu recours au film, plutôt qu’à la bande vidéo ou la photographie, pour aborder la notion taoïste de contemplation ?

– Plusieurs formes artistiques ou performances peuvent mener aux mêmes conclusions à partir d’approches différentes. Je n’ai pas recours assidûment aux mêmes techniques, j’espère plutôt que la méthode employée me conduira sur des pistes intéressantes. La perception artistique ne se fixe pas de limites et n’a pas de contraintes temporelles non plus, ce qui explique la durée du projet.


Comment avez-vous planifié l’aspect logistique de ce projet non-linéaire aux environnements multiples ?

– La production des cinq films s’est étalée sur une période de quatre ans, de 2003 à 2007. Je procède toujours de la même manière pour approcher les scènes : j’ai une idée générale de la direction de l’action, du choix des plans, après avoir effectué la recherche de sites de tournages, mais une fois le tournage en cours, j’essaie également de retenir les endroits les plus appropriés pour ajouter une dimension onirique aux scènes. Ceux-ci sont évidemment proches de mes intuitions initiales et de certaines émotions paradoxales que je veux véhiculer. C’est de cette manière que j’arrive à une certaine forme de linéarité dans mon travail.


L’esprit et l’esthétique de votre corpus fait écho aux films des années 1960, particulièrement à Antonioni et la Nouvelle vague française. Est-ce par nostalgie, pour rendre hommage à ce mouvement ou est-ce pour mieux rendre compte de l’intemporalité de votre propos ?

– La Nouvelle vague française symbolise à mes yeux une édification de la pensée, un esprit indépendant qui régnait à l’époque. Je ne crois pas que les films en noir et blanc évoquent la nostalgie, peut-être pouvons-nous appeler cela une esthétique de la mémoire, mais sans que cela suppose le défilement du temps. À mon sens, cela doit englober à la fois le présent et l’avenir. Le présent m’impressionne et m’interpelle plus que le passé. Il existe plusieurs bons films que les gens n’ont pas besoin de revoir pour qu’ils soient toujours présents dans leurs cœurs.


Quelle est la perception actuelle des intellectuels sur la Chine contemporaine, de plus en plus capitaliste ?

– Leurs sentiments sont partagés, l’avenir leur apparaît tout aussi incertain. La situation va continuer à évoluer et se développer lentement.


Avec pareil agenda, est-ce que l’improvisation était proscrite à la faveur d’une planification méthodique ?

– Je n’ai jamais une idée précise des plans que je veux tourner, ni de la manière de cadrer l’action. L’émotion me guide durant le tournage. Ce que je tourne est largement improvisé, quelques fois j’ai quelques concepts que je veux tester mais je ne m’empêche pas de changer d’idée et de me nourrir de l’inspiration du moment. Quoiqu’il en soit, la direction de l’œuvre demeure la même.


Est-ce que les parties peuvent être comprises et appréciées de manière autonome, ou si le sens général est plus important que les déclinaisons des thèmes de votre projet ?

Je crois que Seven Intellectuals… peut être apprécié à la fois comme un tout et en partie, surtout si la manière de regarder évolue face à chaque œuvre. Mais mon objectif était de construire un film en cinq parties qui serait visionné dans son ensemble… de manière sereine.


La 5e partie, qui clôt la pentalogie, montre les intellectuels jouissant des soi-disants attributs de la vie urbaine, s’adonnant à des loisirs, des passe-temps et au travail hiérarchisé. Comment la ville affecte véritablement les relations entre les personnages ?

– L’intellectuel fait partie de toutes les sphères de la vie en ville. La cité peut être vue comme un microcosme de la vie, elle respire tout en étant extrêmement sensible. Contrairement à ce que nous croyons, toute son activité se produit de manière involontaire. Comme les sages du bosquet de bambou, le mode de vie urbaine ne fait que commencer.


Merci à Rose Lord de la Gallerie Marian Goodman (New York) et Lorenz Helbling de la galerie ShanghART (Shanghai) pour leur précieuse collaboration

© 2008 Charles-Stéphane Roy