dimanche 25 mai 2008

Atlas du cinéma 2008 - Québec

Opulence et coups de semonce
2008

Paru dans les Cahiers du Cinéma


Tonifié par l’injection de 10 M$ supplémentaires du ministère de la Culture, le cinéma québécois a vécut en 2007 une année d’abondance relative à défaut de se réinventer et d’élargir son public, les entrées chutant de 3,4 %. Deux anniversaires symboliques ont néanmoins marqué une nouvelle étape de son évolution, soit le 10e Gala des Prix Jutra, les Oscars québécois nés dans l’incrédulité et devenus synonymes de respectabilité, mais aussi Le ring d’Anaïs Barbeau-Lavalette, 2e long métrage et premier réel succès international produit par l’INIS, devenu en 10 ans un centre de formation professionnelle francophone crédible capable de faire éclore des talents exportables.


2007 fut surtout l’année de tous les procès, autant parmi la critique que chez les distributeurs. Si L’âge des ténèbres de Denys Arcand essuya de fielleuses admonestations dès sa mise en chantier, sa sélection in extremis en clôture du Festival de Cannes fut la première d’une série de cafouillages kafkaïens qui ont miné le box-office de cette satire d’un grotesque essoufflé.


L’autre procès fut celui du Festival des films du monde et de son indélogeable directeur Serge Losique, réhabilités sans enthousiasme par le gouvernement et les distributeurs québécois après deux ans de purge en raison d’états financiers évasifs. Ces retrouvailles forcées n’ont pu toutefois relever la programmation bancale d’un événement incapable de retrouver son lustre d’antan.


Objet de dérision jusqu’à tout récemment, le cinéma québécois a prouvé à son tour qu’il était capable de juger son public. La thèse de l’ethnocide de la nation algonquine du documentaire «Le peuple invisible», avancée par Robert Monderie et le chanteur engagé Richard Desjardins dans leur documentaire Le peuple invisible, a suscité plus de malaise que d’attroupement dans les salles, ce qui fut également le cas de l’intransigeant Contre toute espérance de Bernard Émond, l’aride chemin de croix d’un couple d’honnêtes travailleurs broyé par un capitalisme baaliste, ou encore le médiatisé L’illusion tranquille de Joanne Marcotte, pamphlet auto-financé par une militante de droite pour éveiller les électeurs aux «abus» de l’interventionnisme, du fonctionnariat et des syndicats.


Pendant que le public se rangeait du côté des 3 p’tits cochons, la 1ère réalisation du comédien vedette Patrick Huard, une version puérile et moralisatrice du célèbre conte anglo-saxon, le filon du film produit à compte d’auteur s’est imposé davantage, notamment par Nos vies privées de Denis Côté et Le cèdre penché de Rafaël Ouellet, mais surtout le court métrage Dust Bowl Ha! Ha! de Sébastien Pilote, émouvant hommage aux ouvriers du Saguenay maintes fois primé au Québec et à l’étranger.


Le verdict critique favorisa quant à lui deux champions festivaliers, l’innovateur court métrage d’animation Madame Tutli-Putli de Chris Lavis et Maciek Szczerbowski, ainsi que Continental, un film sans fusil de Stéphane Lafleur, petit organon clinique sur la solitude incapable de s’affranchir d’Aki Kaurismaki et de Roy Andersson, ses trop évidentes références.


© 2008 Charles-Stéphane Roy