mardi 21 août 2007

Fespaco 07

20e Fespaco (Ouagadougou, Burkina Faso)
2007
Paru dans la revue Séquences


Transes africaines


Timide, le cinéma africain? Pas au Burkina Faso! Le 3e pays le plus pauvre de la planète mange du cinéma à sa faim malgré des financements étrangers limités et le déclin de son circuit de salles. La présence du Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou (Fespaco) y est certainement pour quelque chose. La biennale des images du continent noir fêtait sa 20e édition au début du mois de mars dernier en s’affirmant à nouveau comme le ciment d’une cinémathèque vivante, elle-même sans cesse confrontée à sa disparition.


Le délégué général Baba Hama assure toujours une présence rassurante et engagée à défendre les œuvres, et surtout le travail constant de coopération sous-jacent. Plus que jamais, le cinéma africain survit sur son capital d’ouverture envers les fragiles industries voisines, et incarne par ce seul trait tout le défi du Tiers Monde, un modèle par lequel la Culture parvient à transformer les caméras en munitions. L’Etalon de Yennenga, la plus haute distinction de la compétition officielle, voyage ainsi d’un océan à l’autre, particulièrement dans les États Ouest-africains, où fleurissent les successeurs des pionniers du cinéma.


Au Nord, on porte attention de plus en plus aux manifestations cinéma d’Afrique, de la vidéo non-officielle aux séries télé populaires et les auteurs ayant un pied à Paris ou Bruxelles. À la veille du 20e anniversaire du Fespaco, de nombreuses publications comme Sight and Sound et les Cahiers du cinéma ont consacré des numéros complets à l’état et les économies des initiatives africaines tout en formulant des guides Afrique 101 à l’intention des nouveaux émigrants cinéphiles, toujours plus nombreux à considérer l’Afrique comme le dernier possible de la planète cinéma, après l’Asie dans les années 1990 et l’Amérique latine depuis le tournant du millénaire.


De l’imaginaire et des signatures fortes, les cinéastes des principaux pays producteurs d’Afrique subsaharienne (Burkina Faso, Sénégal, Mali, Nigeria) n’en manquent pas. Sinon, le besoin le plus criant se trouve au niveau de la diffusion en salles, sur le web ou à la télé, minée par le piratage et un manque d’infrastructure permettant aux créateurs de toucher des redevances suffisantes.


Par delà cette problématique, la question des archives et des cinémathèques, de l’accès à la formation et au matériel se pose tout autant. Plusieurs aides occidentales fort louables se sont avérées incohérentes ou carrément inutiles car gérées sans le concours de professionnels capable d’identifier les besoins réels sur le terrain… ce à quoi la nouvelle génération de vidéastes et d’exploitants de salles répondent : « On ne veut pas être aidés, on veut créer des partenariats d’égal à égal », tel qu’entendu durant un colloque à Ouagadougou. Pour l’Europe, l’Afrique demeure le prochain eldorado, là où les corporations pourront bientôt étendre massivement leurs antennes et vendre des abonnements cellulaire, satellite et web pour ensuite des forfait de vidéo sur demande, donc des films et des émissions. La terre est fertile, mais les professionnels africains ont peut-être déjà leurs propres bêches.


LES NOUVEAUX GRIOTS

Sont-ils nombreux, les héritiers de Sembène Ousmane, Souleymane Cissé, Djibil Diop Mambéty, et Med Hondo ? La réponse évidente s’appelle Abderrahmane Sissako (En attendant le bonheur, Bamako), Rachid Bouchareb (Indigènes), Issa Traoré de Brahima (Siraba, la grande voie), Mansour Sora Wade (Le prix du pardon) et Idrissa Ouédraogo (Samba Traoré, Yaaba), mais la solution à la visibilité du cinéma africain passe aussi par les jeunes loups Jean-Pierre Bekolo (Les saignantes), Boubakar Diallo (Traque à Ouaga), Faouzi Bensaidi (WWW: What a Wonderful World) et peut-être surtout Mahamat-Saleh Haroun, dont le solide Daratt s’est forgé une réputation à la hauteur de ses ambitions dans la plupart des festivals internationaux dignes de mention. Les femmes prennent également leur place, comme en témoignent Fanta Régina Nacro (Bintou, La nuit de la vérité), Yamina Benguigui (Inch’Allah Dimanche) Narjiss Najar (Les yeux secs) et Yasmine Kassari (L’enfant endormi), et pas seulement sur les écrans du continent. Tous les éléments semblent converger depuis la fin des années 1990 pour que se déploie le nouvel Âge d’or de ce corpus pêle-mêle.


UNE LACUNE, DEUX DVD

La transmission de l’héritage au fil des ans des œuvres charnières de ce festival rassembleur est désormais assurée, 35 ans plus tard ( !), par la confection de deux coffrets de DVD regroupant les films qui ont remporté l’Étalon de Yennenga de 1972 à 2005. Sous-titré en français, anglais, espagnol, arabe et portugais, Les Étalons de Yennenga : Grand Prix du Fespaco inaugure autrement la collection DVD/Cinémathèque Afrique, comblant tant bien que mal la triste absence de riches cinématographies autant chez les cinéphiles locaux que les incultes d’outre-mer. On pourra dans la foulée mettre des images sur les noms de Kwak Ansah, Nabil Ayouch, Oumarou Ganda, Zola Maseko et plusieurs autres lauréats tenus à la confidentialité.


LA SÉLECTION OFFICIELLE

Il revenait à une coproduction minoritaire canadienne (Faro, la reine des eaux), réalisée par le Malien Salif Traoré, d’inaugurer les festivités et figurer parmi les 20 longs métrages en compétition. La rafle 2007 avait tout du tour d’horizon démocratique clairsemé de titres de contrées moins nanties en fonds cinéma comme la Guinée, le Gabon et de la République démocratique du Congo en plus des fiers représentants du Maroc, du Bénin, de l’Algérie, du Sénégal et du Tchad, parmi d’autres. Si le jury s’est commis en faveur de Ezra du Nigérian Newton Aduaka au sujet des enfants-soldats appelés à témoigner devant une commission vérité et réconciliation, le film tempête de la compétition s’appelait Africa Paradis, qui venait de prendre l’affiche à Paris quelques jours auparavant sous un barrage de critiques.


Le Béninois Sylvestre Amoussou a voulu renverser les préjugés qu’entretiennent les Français envers les émigrants africains en plaçant ces derniers dans une position de pouvoir, inflexibles face à une soudaine vague d’émigration de Français dans des Etats-Unis d’Afrique imaginaires. Cocasse et simplissime, le film avait autrement le chic de plaire autant à l’archer qu’à la cible. Les journaux burkinabè n’ont pas manqué de souligner la déconfiture des héros locaux au palmarès du Fespaco cette année, malgré la présence de deux titres en compétition, dont le télévisuel Code Phénix du susnommé Boubakar Diallo.


Déjà passé par Venise et Sundance, Rêves de poussière du Franco-burkinabè Laurent Salgues n’a pu concourir et a dû se contenter d’un passage hors-compétition. Pour leur part, les films internationaux avaient également leur place au festival, permettant aux Africains de voir en avant-première la nouvelle vague d’œuvres occidentale portant sur des situations africaines, juxtaposant critique sociale et film d’aventure (Blood Diamond d’Edward Zwick), le biopic psychédélique (The Last King of Scotland) de Kevin Macdonald et le revers du rêve européen formule gangsta avec Les oiseaux du ciel, imbuvable coproduction franco-anglaise dans laquelle deux Ivoiriens gagnent clandestinement l’Espagne pour gagner un maximum de fric et rentrer en seigneurs à la maison. Leur odyssée sera évidemment parsemé d’échecs et d’humiliations, mais cela n’empêche pas le poète du lot de faire la dolce vita avec Marie-Josée Croze en lesbienne reconvertie et égarée dans ce fouillis à la bougeotte mal placée.


Les œuvres destinées à la télévision ont également droit de cité au Fespaco, reflétant la popularité et l’expertise dans le domaine des Africains, souvent partagés, comme leurs cousins d’ailleurs, entre le drame de famille, la comédie de mœurs et le suspense policier. Tous ces ingrédients étaient réunis dans « Le commissariat de Tampy » réalisé par Missa Hébié, une série d’enquêtes sur les faits divers fort prisée au Burkina Faso par sa caricature poussée du langage cinématographique, des codes propres au genre policier et sa propension à mettre l’emphase sur les fausses pistes. Hormis le flou artistique lancé comme un pavé dans le marrant, « Le commissariat de Tampy », dont on lançait au Fespaco la 2e saison, dénote surtout, à l’image des nouvelles têtes au grand écran, que la vision africaine n’est plus handicapée par ses moyens et que son affirmation s’en trouve d’autant plus décomplexée.


© Charles-Stéphane Roy