de Bernard Émond
2007
Paru dans la revue Séquences
La bonté fatale des incroyants
Bernard Émond continue à brandir sa caméra comme un pèlerin son bâton. Son cinéma des laissés pour compte est régit de plus en plus par cette pudeur stricte, qui ne se permet de soulagement que dans la dénonciation des maux de notre société, notre passé et nos images. Le titre de du film central de sa trilogie sur les vertus théologales, est éloquent à ce titre : Contre toute espérance ne fera pas dans la gaieté. Âpre, le détonateur à portée de main, le nouveau film de Émond, contrairement à La neuvaine, est tout en oppositions, non pas contre le simple état de fait où les riches mangent les pauvres (la lecture la plus évidente), mais bien par-delà un système de valeurs complet porté sur l’usinage des ressources humaines, dans lequel le gagne-petit, s’il vient en être exclu, ne pense qu’à regagner sa place sur la chaîne de montage par tous les moyens possibles.
Émond s’est interdit toute poésie dans ce chapelet de défaites cruelles du monde ordinaire. La vie est rude, la bonté se retrouve rapidement étouffée par la mécanisation du quotidien, et la mise en scène du cinéaste ne permet aucune élévation vers le rêve du meilleur. Après l’iconique Élise Guilbault, Guylaine Tremblay hérite d’un rôle de premier plan à travers lequel Émond tire profit de la sévérité de ses traits comme de la chaleur de sa voix. Sainte parmi les profanes, sa Réjeanne soutient son mari Gilles lorsque celui-ci se retrouve cloué à une chaise roulante suite à un accident cérébro-vasculaire. Replié dans sa douleur, Gilles s’isole de son entourage et se laisse dériver dans la dépression, malgré les encouragements de sa femme et d’un collègue de travail.
Comme si ce n’était pas assez, Réjeanne perd son emploi comme téléphoniste après que son employeur ait vendu les employés de son secteur à une compagnie de sous-traitance à rabais. S’accrochant à ses responsabilités et l’amour qu’elle porte envers son mari, elle accepte de petits boulots pour payer le loyer. Lorsque Gilles flanche, Réjeanne perd son calme et se précipite chez son ancien employeur pour régler ses comptes.
Construit comme un suspense social à rebours, Contre toute espérance fait plus écho à 20h17 rue Darling qu’au premier volet du triptyque de Émond. Mais comme le malheur n’épargne personne, tous les personnages du film sont mis à plat, même celui de Guylaine Tremblay, malgré son exposition constante. Et c’est ce qui rend l’ensemble un peu terne : mise en scène appliquée, acteurs de circonstance, histoire équilibrée… rien ne dépasse, tout respire l’ordre et la spirale infernale parfaite, malgré la caricature évidente de Jean Monty, ancien directeur de Bell au moment où la compagnie s’est délestée en 1999 de ses 2 400 téléphonistes du 411 d’un service américain à rabais. Seuls les thèmes et le sérieux de l’affaire rappellent ici qu’on est en présence d’un film de Bernard Émond.
Le ton s’alourdit rapidement lorsque les personnages croulent sous les symboles qu’ils incarnent et que s’imbriquent la compassion et la bonté de Réjeanne, mises à l’épreuve par le découragement de son mari et la cupidité de son patron. Seule devant son destin, Réjeanne invoque en désespoir de cause le Divin après avoir été calmer son trop-plein dans une église désertée. Deux scènes inscrivent bien timidement le film dans la trilogie et confirment le schéma social québécois que tente de dépeindre l’auteur, rappelant que notre vieux fond catholique, pétri de rengaine, se réanime sans se faire prier lorsque notre (mauvais) sort le commande. Si Denys Arcand est le sociologue de notre cinéma, Bernard Émond s’en fait le philosophe et le théologue, obsédé par la perte des valeurs d’une province qui a tourné trop rapidement le dos à ses chapelles. Le malheur, qu’il soit providentiel (l’ACV de Gilles) ou causal (la précarité salariale de Réjeanne), n’aurait-il de solution que par l’intervention supérieure en ces temps d’hérésie et d’efforts désolidarisés?
« Entre tes mains, je remets Seigneur mon esprit; entre tes mains, je remets ma vie », comme le veut la célèbre prière… Le film partage son titre avec celui d’un ouvrage de 1975 signé par le Père Bernard Bro, spécialiste et biographe de Thérèse de Lisieux, connue pour sa crise de foi. Bro pensait néanmoins qu’il s’agissait d’une crise de l’espérance et que la religieuse s’interrogeait plutôt sur le néant. Comme la Sainte, Réjeanne croit que le plein bonheur réside dans l’amour et la recherche du bien des autres, même chez son mari agissant comme un enfant étranger. Film sur la perte, Contre toute espérance emprunte un chemin de croix sans apparente rédemption. Il restera toutefois la charité…
© Charles-Stéphane Roy