lundi 15 juin 2009
James Toback au 52e Festival de San Francisco
52e Festival de San Francisco
James Toback et Tyson
2009
Paru dans la revue Séquences
Tourner, ce sport de combat
Né la même année que la sortie de Vertigo (1958) d’Alfred Hitchcock – tourné incidemment aux abords du Golden Gate, San Francisco et son festival de cinéma, le plus vieux d’Amérique du Nord, remettait cette année son Prix Kanbar de scénarisation au vétéran James Toback, l’un des seuls ‘bums’ assumés d’Hollywood au même titre que John Carpenter, Lech Kowalski ou encore Monte Hellman. Toback s’est remémoré le tortueux chemin l’ayant amené à réaliser le documentaire Tyson au sujet du boxeur le plus controversé du 20e siècle. Séquences y était.
Trapu comme un camionneur du Midwest, Toback arbore le noir de la tête au pied, faisant contraste avec son front dégarni et sa petite taille. Avouant son faible pour les fêtards et les fêlés, le scénariste de Bugsy et réalisateur de Pick-up Artist se fait pourtant rare et préfère la présence des chats de gouttière à celle des quartiers huppés de la Côte Ouest.
Ce n’est donc pas par hasard s’il s’est lié d’amitié avec le pugiliste Mike Tyson au milieu des années 1980 avant que celui-ci n’accède à la gloire et la folie. Toback avouera d’entrée de jeu ses problèmes de jeu compulsif (son premier long métrage s’intitulait incidemment The Gambler), sa consommation frénétique de LSD et ses orgies mythiques aux côtés du non moins légendaire footballeur Jim Brown, qu’il enrôla quelques années plus tard dans Fingers.
Lancé à Cannes en 2008, Tyson ramène Toback sur le devant de la scène malgré un procédé documentaire télévisuel, quelques effets tentant d’inculquer une spiritualité hasardeuse au boxeur maintes fois incarcéré et une tendance douteuse à excuser ses comportements erratiques par son exploitation et sa naïveté.
« J’ai rencontré Tyson lorsqu’il était dans la jeune vingtaine, aux tout débuts de son entraînement, s’est remémoré Toback. J’aime aller à la découverte des autres, surtout ceux qui n’ont pas peur d’exploiter diverses facettes de leur personnalité. Le LSD m’avait permis de m’ouvrir sur d’autres pans de mon caractère, et c’est ainsi que j’ai appris que mon autre « Je » est, croyez-le ou non, un athlète noir. Je suis complètement fasciné par eux, autant au football qu’au basketball que sur un ring de boxe. J’ai également une affection naturelle pour les paranoïaques; le personnage que joue James Caan dans The Gambler fait partie de cette catégorie, tout comme Jim Brown. »
À ce titre, Toback a également raconté la genèse de Fingers, dont il avait rédigé entièrement le scénario dans un avion durant un vol, et comment il parvint à convaincre Jim Brown de recréer la fameuse scène de violence sexuelle avec deux femmes tirée de ses propres aventures, qui lui avait valu de surcroît un séjour au pénitencier. Les multiples liens entre Brown et Tyson sautent aux yeux.
« Jim Brown nous avait présentés l’un et l’autre en 1985, puis il s’est invité chez United Artists sur le plateau de Pick-up Artist (1987) pour rencontrer Robert Downey Jr, et c’est ainsi que je lui ai offert un rôle 12 ans plus tard aux côtés de Downey Jr. – qui venait également de sortir de désintoxication – dans Black and White, durant lequel Tyson raconte avec conviction la difficulté de se faire fouiller entièrement en prison. Cette scène précise m’a incité à consacrer tout un film à son sujet. Mais comme sa vie a connu d’étranges détours entre le ring et la prison, le projet fut reporté à plusieurs reprises. J’ai dû le sortir de son centre de désintoxication durant à peine cinq jours pour pouvoir réaliser le film; je n’ai pris aucun risque et nous avons tourné le documentaire chez lui et dans les environs, puis j’ai complété le montage durant une année entière.»
Certains ont dénoncé dans Tyson l’amitié en filigrane entre le cinéaste et son sujet, mais il est fort à parier en revanche que personne d’autre n’aurait eu pareil accès aux confidences du boxeur reconnu pourtant pour son absence d’inhibition. « Vous savez, Werner Herzog avait offert pas mal d’argent à Tyson pour qu’il se livre à sa caméra et ensuite faire un portrait de lui, mais Mike est fidèle à ses amis et a refusé par amitié pour moi, sachant qu’il ne retirerait aucun bénéfice pécuniaire de mon documentaire, malgré son titre honorifique de producteur exécutif du film », s’est félicité Toback.
Le cinéaste a avoué qu’hormis Tyson, il aurait souhaité réaliser des documentaires sur Jack Johnson, Jack Dempsey, Sugar Ray Robinson ou encore Rocky Marciano, « d’autres boxeurs prouvant qu’il y a une plus grande proportion de gens intéressants en boxe que dans tous les autres sports confondus ».
© Charles-Stéphane Roy 2009