lundi 15 juin 2009
Critique "Sugar"
SUGAR
de Anna Boden et Ryan Fleck
2009
Paru dans la revue Séquences
La gloire dans le détour
Dans l’enclos des films de sport, Sugar se démarque haut la main, reléguant au vestiaire les lieux communs et les sempiternelles odes à l’esprit de corps ou aux négligés. Le second long métrage de fiction du tandem derrière le surestimé Half Nelson ose sortir de ce qui s’annonçait comme une autre captation du simple exploit de gagner sa place au soleil des ligues professionnelles, un pari audacieux pour un genre télégraphié au possible.
Terrain de toutes les controverses, le baseball a perdu les lettres de noblesse de son statut de sport national américain – mais également latino ou asiatique, faut-il encore se le rappeler – en accumulant récemment les cas de déchéance, de tricherie et d’enflures salariales. Mais s’il faut en croire son credo « Ce n’est pas fini tant que ce n’est pas fini », cette discipline ancrée dans les mœurs depuis plus de 150 ans a encore de nombreuses histoires devant elle, si bien qu’on se demande comment celle de Sugar a bien pu demeurer inexplorée au cinéma si longtemps, les joueurs d’Amérique latine constituant certainement plus de la moitié des troupes oeuvrant sous les réflecteurs des stades du baseball majeur américain depuis belle lurette.
Anna Boden et Ryan Fleck, qui avaient observé dès le documentaire Young Rebels (2005) le foisonnement de talents hispanophones – ceux des rappeurs cubains dans ce cas précis – se sont intéressés à la pépinière dominicaine, qui avait alimenté l’alignement des Expos de Montréal durant plusieurs saisons, en créant le personnage de Miguel 'Sugar' Santos à même les expériences de plusieurs adolescents nourrissant l’espoir de quitter à tout jamais les bas-fonds de San Pedro De Macorís en s’imposant auprès des recruteurs de la Ligue majeure de baseball (MLB) et ainsi faire partie du rêve américain.
Santos, un jeune lanceur au bras d’acier, ne parle pas l’anglais et ignore tout du mode de vie aux Etats-Unis, comme la plupart des autres prospects dominicains. Bien qu’on nous fasse comprendre rapidement que sa morale irréprochable pourrait le conduire à de lucratifs contrats professionnels chez l’Oncle Sam, il est difficile de juger de ses ambitions intimes, tant cet introverti semble étouffer sa passion sous une rigide discipline d’entraînement.
La suite ne clarifie guère les choses ; étant repéré par des scouts de la MLB puis invité à intégrer des camps de recrues en Arizona puis en Iowa, Santos s’intègre mal au sein de sa famille d’accueil et dans son nouvel environnement, pourtant idéal pour faire éclore son talent. Le dernier tiers de Sugar, qu’il est difficile de révéler sans nuire à l’impact du film, emprunte une tangente imprévisible, par laquelle Santos compromet sa carrière et laisse le hasard dicter son destin plutôt que les statistiques et les championnats.
L’authenticité de Sugar est certainement son meilleur atout ; de pouvoir compter sur l’expertise de l’ex-Expos Jose Rijo devant et derrière la caméra est en soi un gage du sérieux de cette entreprise, loin des artifices de la majorité des autres films de balle. Boden et Fleck démontrent également une certaine perspicacité dramatique à tisser des liens entre les modestes conditions de vie des Dominicains et l’humilité des ruraux peuplant le Midwest américain, dont la ferveur pour le baseball n’a d’égale que leur foi dans les idéaux chrétiens.
Le film n’évite toutefois pas certains clichés et abuse par moments de la candeur du personnage principal pour accentuer le fossé culturel entre Santos et son milieu d’adoption, comme en témoignent les scènes de bisbille interraciale, de bigoterie juvénile et la tentation de stéroïdes anabolisants, sans doute dans un souci de cadrer aussi large que possible sur les tentations et les revers de l’adulation pouvant contaminer les plus brillants espoirs évoluant dans un encadrement physique et moral aussi strict que ceux des écoles militaires.
Sugar est l’un de ces cas où le jeu solide des acteurs et la volonté des réalisateurs de sortir des arcanes d’un genre sont plombés par la caractérisation schématique – voire fataliste – des personnages et de leur milieu. Prenant pourtant parti de l’efficacité du documentaire sociologique et de la popularité d’une pratique indissociable du ciment communautaire américain, Boden et Fleck n’ont pu éviter non plus les pièges du cinéma indépendant pan-hollywoodien, qui consiste à laisser les hiérarchies culturelles dicter le récit sans jamais les remettre en question, originalité ou pas.
© Charles-Stéphane Roy 2009