lundi 15 juin 2009

Critique "Sin Nombre"


SIN NOMBRE
de Cary Fukunaga
2009
Paru dans la revue Séquences

La cavale des rails


Cary Fukunaga, qui signe avec Sin Nombre son premier long métrage, est né de parents japonais et suédois. Son film traite pourtant d’une réalité toute autre, celle des immigrants illégaux d’Amérique latine, tout en abordant par la bande la problématique des gangs profitant de ces exodes de fortune pour imposer leur loi le long du Golfe du Mexique.

Cet aspect pourrait alimenter un film entier à lui seul ; en effet, les Mara Salvatrucha sévissent selon un axe élargi englobant le Salvador, le Honduras, le Guatemala et le Nicaragua, ayant érigé un véritable cartel panaméricain de trafic humain, de guerre ouverte avec les forces de l’ordre et d’assassinats dans toutes les couches de la société d’Amérique centrale.

Comme plusieurs autres cinéastes latino de sa génération - à l’instar de Alex Rivera (Sleepdealer), Fukunaga a su tirer profit des nombreux programmes de développement disponibles aux Etats-Unis à l’égard des réalisateurs des communautés culturelles afro-américains, chicanos, autochtones et asiatiques, comme ceux dispensés par le Sundance Lab, avant de tourner sa caméra vers des enjeux situés à l’extérieur du territoire yankee.

Ce qui débute comme un autre de ces contes urbains violents et simplistes se mue en chasse à l’homme crédible et tragique comme peu de cinéastes indépendants américains parviennent à accomplir, rappelant par moment Maria Full of Grace de Joshua Marston. Ce n’est donc guère surprenant si le film s’est facilement distingué au Festival de Sundance l’an dernier, jurant avec le vague à l’âme désincarné et l’humour noir de circonstance de nombre des contemporains indies de Fukunaga.

Il faut voir ces trains pouvant transporter jusqu’à 700 voyageurs ‘clandestins’ – impossible de les manquer tant ils débordent des wagons – agglutinés de peine et de misère sur les toits, quitte à se faire flageller par les branches des arbres aux abords de la voie ferrée durant leur trajet. L’image frappe immédiatement, tout comme la fatalité par laquelle la plupart d’entre eux seront frappés, alors qu’on nous répète que seulement une poignée d’entre eux parviendra à traverser vivants le Rio Grande.

Cette approche procure au film une perspective plus porteuse que l’habituel défilé des embûches de chaque groupuscule. Certains veulent fuir des conditions de vie inhumaines pendant que d’autres mettent le cap sur le Nord afin d’échapper à leurs crimes. Mais parmi ces «sans noms» (traduction libre du titre du film) rôdent également les futurs caïds prêts à éliminer leurs proches, pensant ainsi se mériter le respect et surtout la protection du gang. Cette alternative peu recommandable est empruntée ici par Smiley, âgé seulement de 12 ans, qui préfère retourner parmi les tourmenteurs de son meilleur ami Willy, devenu fugitif malgré lui après avoir liquidé le chef de cette même bande durant une embuscade à laquelle il participait.

L’omniprésent cercle de la violence du film est cristallisé tout entier dans ce crescendo parallèle entre la chute du dauphin et l’ascension de son jeune compagnon – rien de bien subtil ou d’inédit ici – mais il reste que cette chronique de la misère extra-frontalière bénéficie d’une exécution fringante et plus dégourdie que l’introduction pouvait laisser présager. Le jeu naturel des acteurs, tous non-professionnels, capte aisément notre attention en vissant ce périple rocambolesque et toute cette virilité tonitruante dans la poussière, le sang, la sueur et les ordures sur le chemin de la Terre promise.

Comme plusieurs films latino (et même américains) du genre, les valeurs et la souplesse morale des personnages détermine illico leur destinée, si bien que la facilité à identifier ceux qui parviendront à fouler le sol américain mine considérablement les efforts déployés pour décrasser le genre, acuité sociologique à la clé ou pas. Fukunaga ne déroge pas à cette tendance, qui lui aura néanmoins permis de dégoter son laissez-passer pour le marché américain plus facilement que la plupart des personnages de son film.

Malgré tout, Sin Nombre confirme la renaissance du jeune cinéma mexicain à la fois décomplexé et ayant assimilé en touts points les codes hollywoodiens, démontrant surtout un évident potentiel d’exploitation dans les marchés latinos aux Etats-Unis. Avec la consolidation de cette industrie autour de la nouvelle horde hip formée par Alfonso Cuarón, Alejandro González Iñárritu, Guillermo Arriaga, Guillermo del Toro puis Diego Luna et Gael Garcia Bernal (tous deux crédités en tant que producteurs exécutifs de Sin Nombre), le cinéma populaire au pays de Felipe Calderón semble se porter mieux que jamais, capitalisant sur une expertise manifeste et un regain d’intérêt appréciable pour les thématiques sociales.

© Charles-Stéphane Roy 2009