mardi 26 mai 2009

Killer Films aux RVCQ 09


RENDEZ-VOUS DU CINÉMA QUÉBÉCOIS
2009
Paru dans la revue Séquences

Christine Vachon, reine des indépendants américains

Par un heureux concours de circonstances, les Rendez-vous du cinéma québécois ont accueilli la productrice américaine Christine Vachon, responsable des débuts de Todd Haynes, Todd Solondz, Larry Clark, Kimberley Pierce, Mary Harron, Mark Romanek, Ethan Hawke, John Cameron Mitchell, Rose Troche et Tom Kalin, tout en ayant remis sur les rails les vieux routiers John Waters et Robert Altman. Vachon animait une leçon de cinéma particulièrement pertinente et dynamique sur l’état de la production états-unienne hors des grands studios hollywoodiens au sein de sa boîte Killer Films.

LES DÉBUTS
« J’ai démarré dans ce métier au milieu des années 1980 à New York. L’époque était très stimulante, surtout à Manhattan, où Jim Jarmush et Spike Lee faisaient leurs débuts. On sentait qu’une révolution était en train de naître.

Je ne connaissais pas grand-chose à la production, mais mon ambition était de travailler dans le cinéma. J’ai alors débuté en effectuant plusieurs métiers, notamment à titre de coordonnatrice de production, superviseure, assistante monteuse ou assistante à la réalisation sur des films à petits budgets, dont des coproductions. Todd Haynes m’avait approché pour produire son premier long métrage, Poison, qui était plutôt expérimental, même pour l’époque.

J’ai donc appris mon métier sur le tas; souvent, en me remémorant mes débuts, je dis que l’ignorance est la meilleure chose qui peut arriver à quelqu’un qui nourrit une ambition. Avec le temps, je suis cependant toujours convaincu d’une chose : produire n’est jamais simple. Cela reste aussi difficile, mais différemment. »

MON STYLE
« J’essaie de me tenir entre le cinéma hollywoodien et l’expérimental. À mes débuts, on faisait du cinéma queer, le sida était partout et décimait nombre d’artistes, qui vivaient dans l’urgence et voulaient créer à tout prix, sans concession. Aujourd’hui, le cinéma indépendant est devenu pas mal plus classique, chaque studio avait jusqu’à récemment sa filiale dite ‘indépendante’…

Mes expériences sur différents postes m’ont également appris à voir le cinéma, indépendant ou non, comme une vaste mécanique, la rencontre excitante et interdépendante entre le commerce et l’art. S’occuper du montage financier, faire en sorte que tout concorde avec les attentes du réalisateur et les réalités économiques, voilà ce que j’aime de mon métier. Plusieurs me demandent si j’aurais plutôt voulu être réalisatrice et je leur répond que…non. La dynamique de la production me stimule au plus haut point. »

LA CRISE ÉCONOMIQUE ET HOLLYWOOD
« Il faut maintenant être plus flexible et créatif que jamais auparavant, car les studios ne s’impliquent plus vraiment dans le type de cinéma que je produis. Je dois alors me tourner invariablement vers trois sources de financement : les investisseurs de fonds en équité, les préventes à l’étranger et les incitatifs fiscaux qu’offrent certains territoires en autant qu’on tourne chez eux avec des professionnels de l’endroit. Évidemment, la valeur du dollar canadien et les crédits d’impôt chez vous sont très avantageux, heureusement!* Mais il faut avouer que les producteurs américains envient les agences de financement gouvernementales comme au Canada ou en France, qui font en sorte qu’on parvient à faire des films sans avoir à solliciter des fonds privés. Ce serait tout simplement impensable aux Etats-Unis.

Voilà comment j’en suis arrivé à tourner en ce moment en Saskatchewan et au Manitoba Lullaby for a Pi de Benoît Philippon, une coproduction France-Canada, alors que ces provinces ont mis de l’avant des crédits d’impôts très intéressants. Ma double nationalité américaine et française m’a également permis d’embarquer dans le projet.

PAYER POUR FAIRE LA FÊTE
« Habituellement, deux types d’investisseurs sont prêts à mettre leur argent dans la production de films : ceux qui croient toucher éventuellement des profits avec les recettes et les ventes du film à l’étranger, puis ceux qui veulent simplement mettre un pied à Hollywood et s’imaginer aller à la soirée des Oscars avec Uma Thurman… La plupart du temps, je rencontre des gens sérieux, mais somme toute, je cherche surtout des individus qui pensent avec leur cœur plutôt que strictement avec leur portefeuille.

LE PRESTIGE INCONTOURNABLE
« Lorsque j’ai fait Happiness, Todd Solondz avait déjà connu un succès modeste avec son film précédent, Welcome to the Dollhouse, mais ce n’était pas assez pour lui permettre de tourner avec des moyens accrus. J’avais besoin de 6 M$ et les investisseurs m’ont promis cette somme si Patricia Arquette, qui avait la cote à l’époque, garantissait sa participation au film, ce qu’elle avait fait. Mais sa mère est tombée malade et elle fut contrainte de rompre son contrat. Le tournage allait débuter et nous étions soudainement à la recherche d’un acteur et de capitaux une fois de plus. C’est alors que j’ai rendu visite à mes investisseurs du début et leur a demandé combien ils consentaient à me donner si je tournais sans vedettes, soit 2 M$. Todd s’est ajusté et réalisé au final le film qu’il souhaitait.

La même chose s’est produite lors de Boys Don’t Cry, alors que Kimberly Peirce voulait engager Hillary Swank, une pure inconnue à l’époque, mais nos investisseurs tenaient mordicus à engager une vedette établie. L’identité des acteurs est devenue plus importance qu’auparavant et cette tendance n’est pas prête de s’estomper.»

DES RÉALISATEURS PARTENAIRES
« Il y a plusieurs cinéastes avec qui j’ai envie de travailler – Robert Altman était l’un de ceux-là – et Robert Benton, un autre réalisateur que j’admire, fera son prochain film chez Killer. Mais l’important demeure la relation que je peux développer avec eux. Il faut savoir que je vais me battre à leurs côtés et les défendre au-delà de la raison sur des projets qui peuvent prendre plusieurs années à se concrétiser. En fait, le réalisateur doit se sentir concerné comme s’il était coproducteur de son film avec moi. Des fois, ça ne fonctionne pas. Je dois alors dénicher la perle rare ailleurs, souvent sur lecture d’un scénario, car j’aime travailler avec de jeunes réalisateurs au moment de leur premier long métrage. Mais il faut savoir que la jeune génération est souvent plus intéressée par les projets de télésérie que de films, une situation qui me désole. »

LE GRAND CHELEM
« Les festivals de cinéma sont toujours à mes yeux les plus importants rendez-vous du l’année pour trouver du financement ou vendre ses films une fois complétés. Je me limite à Cannes, Berlin, Venise, Sundance et Toronto, bien que SXSW (South by Southwest à Austin, TX) et Telluride soient en phase de croissance. Quoi qu’il en soit, ces plateformes sont incontournables, ne serait-ce que pour l’attrait qu’ils suscitent et la reconnaissance envers notre travail. »

* Christine Vachon a tourné dans les Cantons-de-l’Est et à Montréal plusieurs scènes du film I’m Not There de Todd Haynes en 2007, tout en ayant recours aux services du Studio Ex-Centris afin de produire certains d’effets visuels par l'entremise du superviseur des effets spéciaux Louis Morin.

© Charles-Stéphane Roy 2009