mardi 26 mai 2009

Critique "Never Apologize"


NEVER APOLOGIZE
de Mike Kaplan
2009
Paru dans la revue Séquences

La scène hommage

Voilà déjà 15 ans que le réalisateur Lindsay Anderson a cassé sa pipe. Avec lui est disparu tout un pan de l’histoire du cinéma britannique, de la critique de films et de la mise en scène dans le plus pur sens du terme. L’acteur Malcolm McDowell, un fidèle de la filmographie du fils de Bangalore, a rendu hommage à son maître spirituel lors d’un spectacle solo.

Never Apologize faisait partie de ces récents spectacles nouveau genre, entre la performance, le conte et la biographie, n’hésitant pas à illustrer le propos par des archives télévisuelles ou cinématographiques, nivelant ainsi les décalages temporels en utilisant de manière accrue le pouvoir elliptique de la scène, à l’instar du 700 Sunday de Billy Crystal.

McDowell, qui a joué sous la férule d’Anderson à quatre reprises (la trilogie Mick Travis ainsi que la reprise de Look Back in Anger de 1980), s’est inspiré de divers livres rédigés par le cinéaste anglais, mais surtout de leur amitié soutenue au fil des années, pour livrer le spectacle en question, dont le titre est tiré d’une réplique d’un film de John Ford, l’idole avouée d’Anderson, qui en fit l’objet d’un essai.

À son tour, la version cinématographique de la pièce, qui tient plus de la captation que d’une quelconque réinterprétation, ou de respatialisation – comme il est question des planches – du spectacle, est entièrement une affaire de famille, alors que le réalisateur, Mike Kaplan, produisit The Whales of August, le dernier film d’Anderson, et assista incidemment sur plusieurs années Stanley Kubrick, qui, comme tout le monde le sait, cimenta le potentiel international de McDowell sur A Clockwork Orange.

Quel intérêt peut-il y avoir à filmer un spectacle en général ? Pour le souvenir de la performance en soi, mais aussi quelquefois du contenu. À ce titre, Never Apologize fait figure de petite encyclopédie personnelle, un hommage à chérir en raison de la présence de McDowell dans l’une de ses meilleures ‘interprétations’ à vie. Comme si le fait de revisiter son mentor, ne serait-ce qu’en pensée, avait amélioré de facto son jeu. Mais le profane de l’œuvre d’Anderson pourrait aussi y trouver son compte tout autant que les comédiens ou les cinéphiles, à la vue de cette somme d’anecdotes, de citations et d’imitations tellement éducatives sur l’art de jouer, de mettre en scène ou seulement d’influencer la vie d’un jeune rebelle avide de connaissances jusqu’à faire éclater tout son talent.

McDowell démarre son intervention au moment même où Anderson entre dans sa vie en se faisant passer pour un autre entre deux représentations d’une pièce au Royal Court Theatre de Londres, que le cinéaste codirigea à la fin des années 1960 suite à son premier cycle de création au cinéma. Rapidement, Anderson embauche McDowell pour incarner Mick Travis, l’élève contestataire dans le brûlot … If, qui démarra véritablement leurs carrières respectives en gagnant la Palme d’or cannoise.

Inspiré par cette soudaine visibilité, McDowell propose à Anderson de poursuivre leur collaboration en mettant en scène un film tiré de ses propres expériences de vendeur itinérant de café vécues dans sa jeunesse. Peu convaincu, Anderson lui assigne David Sherwin, le scénariste d’… If, pour peaufiner le script d’Ô Lucky Man, qui ramena le tandem à Cannes puis se fit remarquer aux Prix BAFTA et aux Prix Golden Globes.

Leurs chemins ne se croiseront plus durant quelques années, le temps que McDowell connaisse ses premiers égarements au grand écran pendant qu’Anderson consolide ses acquis dans le milieu du théâtre et réalise quelques captations de ses pièces pour la télévision.

Leur dernière escale commune au cinéma survient avec Britannia Hospital en 1982, avec une 3e apparition en compétition sur la Croisette. Longtemps marié à l’actrice Mary Steenbergen (qu’il a rencontré sur le plateau de Time After Time en 1979), McDowell la met en contact avec Anderson, qui, après avoir réalisé des vidéos pour le groupe Wham! et George Michael, l’engagera sept ans plus tard sur The Whales of August aux côtés des monstres sacrés Bette Davis, Lillian Gish et Vincent Price, auxquels sera pourtant préférée Ann Sothern aux Oscars.

Dans un sens, Lindsay Anderson aura été le pendant protestataire de son contemporain Ken Russell, qui emprunta une trajectoire similaire au fil de sa carrière, jusqu’à réaliser un faux documentaire sur leur propre carrière. Ce qui seyait parfaitement à l’esprit candide et volontaire de McDowell, le pupille idéal dont rêve tout agitateur.

Par le jeu, l’imitation de ses vedettes et la lecture de divers journaux intimes, l’interprète d’Alex de Large raconte l’histoire de leurs affinités, reprenant à son tour l’hommage qu’Anderson avait conçu avec son art à lui (l’écriture) sur son prédécesseur Ford. Sans l’excuser, l’acteur le montre sous tous ses angles – même jusque dans ses défauts – avec une générosité rare et manifeste à sa manière toute son admiration et sa gratitude envers cette insoupçonnable figure paternelle, doublée d’un poète méconnu.

© 2009 Charles-Stéphane Roy