mardi 18 mars 2008

Sundance 08

24e Festival de Sundance
2008
Paru dans la revue Séquences


Que reste-t-il des Indépendants?

Robert Redford, le Sundance Kid, s’est fait bien discret à l’ombre des pistes de ski de Park City, cité de villégiature hivernale où les chefs des multinationales remisent leurs raquettes. Après 24 ans, le plus important festival américain n’a peut-être plus aussi souvent besoin du golden boy pour attirer les studios, les vedettes et les médias dans son antre de découvertes, mais l’arrivée de la génération numérique et l’inclusion d’un volet international a ouvert le jeu considérablement de l’événement, qui aura fort à faire pour convaincre les acheteurs de délaisser leurs luxueux condos pour investir un marché encore en devenir.


Sundance sera toujours la Mecque du branding et le véritable point de ralliement de la faune indépendante, un terme générique qui a encore sa pertinence dans l’industrie américaine, faute de subventions et de risques encourus par les studios. Plus encore qu’à Toronto, on a rapidement le sentiment qu’il ne s’agit que d’une façade pour lancer sa ligne et attraper le bon acheteur. Bon an mal an, il y a surenchère de films, qui pour la plupart répondent aux critères d’une formule éprouvée; celle de la comédie sardonique aux personnages antisociaux, avec musique indie de circonstance et esthétique de perdants kitsch à la clé.


Vous l’aurez compris, les clones de Solondz, Tanrantino et Jared Hess sont légion, si bien que les voix originales se disséminent rapidement dans une mer de vagues à l’âme factices ou maniérés. Pourtant, il s’agit d’un des rares tremplins pour le cinéma non pas de gauche, mais du bas; celui des minorités économiques, des Afro-américains, des Premières Nations et des Hispanophones.


Alors, dans quel état se trouve le cinéma indépendant américain? Dans un carrefour générationnel, à la lumière de la programmation de cette année, où les high concepts formatés pour appâter les studios – Hamlet 2 de Andrew Fleming, à la prémisse limpide et hilarante; ou bien le faussement nymphomane Choke de Clark Gregg) côtoient les essais plus aboutis (58 premières œuvres, toutes catégories confondues).


Le drame Frozen River de Courtney Hunt, gagnant du prix du meilleur film de fiction, illustre bien comment la production périphérique peut se mettre au service des citoyens dits de seconde zone – ici, une mère monoparentale vivant dans une roulotte et une Mohawk survivant avec un racket d’immigrants illégaux passés incognito du Québec à l’État de New York en conduisant une voiture sur le fleuve Saint-Laurent gelé. À la fois trash et bourré de bons sentiments, Hunt a fait fondre le cœur du jury principal (Quentin Tarantino le premier!) avec une œuvre qui s’inscrivait dans un certain corpus au festival, tel le porte-voix d’une Amérique méconnue, qu’on jurerait tiers-mondiste : à en croire les nouveaux indépendants, les Etats-Unis hors des grands centres ressemblent à une vaste réserve.


Tel était aussi le constat du puissant et abouti Ballast de Lance Hammer, un cinéaste à surveiller. Plantée dans le delta hivernal du Mississipi, sa caméra scotchée à l’épaule scrute la relation turbulente entre une mère monoparentale (un paradigme de l’édition 08), son fils de 12 ans qui commence à frayer avec la vermine du coin et un voisin à la bonté naïve. Visiblement inspiré par les Dardenne, Bruno Dumont et le cinéma social européen, le film, déjà sélectionné en compétition à Berlin, devrait circuler à travers bon nombre de festivals, et avec raison.


Un peu plus haut, la classe moyenne américaine tourne en rond avec ses malheurs bien sages, s’il faut en croire la majorité de la production misant sur des vedettes établies. La religion occupa étonnamment beaucoup de terrain, même de façon déguisée dans le champ gauche, comme en fait foi le prêchi-prêcha Henry Poole is Here du réputé clippeur Mark Pellington, pendant que la libéralisation des mœurs continue d’alimenter l’imaginaire des cinéastes, à l’instar du Mysteries of Pittsburgh de Rawson Marshall Thurber, la tiède adaptation du roman influent de Michael Chabon qui ne réinvente en rien le triangle amoureux, même quand les pivots sont Sienna Miller et le fabuleux Peter Sarsgaard, qui, avec Paul Giamatti et Patricia Clarkson, sont devenus des figures incontournables à Sundance.


Beaucoup plus cinglant fut Towelhead, le 1er long métrage du scénariste Alan Ball (American Beauty), nouvelle charge contre la banlieusardise; rarement viol, racisme et préjudice n’auront été si drôles! À l’autre bout du spectre, la solitude occupe encore passablement l’imaginaire indépendant, à l’image de l’inqualifiable Goliath des frères Zellner, l’observation poussive d’un cocu développant une obsession à retrouver son chat après le départ de sa femme; l’affection cynique qu’entretiennent les Américains envers ses marginaux.


Tandis que les solides Up the Yangtze (ONF) de Yung Chang et Les femmes de la Brukman de Isaac Isitan représentaient le Québec, de plus en plus visible aux abords de Deer Valley, Sundance n’a pas concocté des sections internationales à la hauteur de leurs ambitions, optant pour des essais arc-en-ciel de cinématographies, souvent en émergence (Azerbaijan, Jordanie, Pérou, Colombie, Panama).



© 2008 Charles-Stéphane Roy