mercredi 23 juillet 2008

Critique "Redbelt"

Redbelt

de David Mamet

2008

Paru dans la revue Séquences


Le paradoxe du lutteur


Quatre ans après le suicide artistique de Spartan et quelques épisodes de la télésérie « The Unit » plus tard, David Mamet ressurgit avec un projet inattendu sur les arts martiaux. Redbelt ne constitue pas le retour tant attendu, tout au mieux une remise en forme pour voir si les réflexes y sont encore. Et le feu sacré ?


Peu de cinéphiles et fans donnaient cher de la peau du récipiendaire d’un prix Pulitzer (Glengary Glen Ross) après un passage à vide qui semblait s’éterniser. Sa décennie inspirée à la fin des années 1990 – Spanish Prisoner, The Winslow Boy, State and Main et Heist fut même ombragée par sa contribution comme scénariste à Ronin et Hannibal. Que peut encore Mamet ?


Qui dit remise en forme dit également entraînement, et le dramaturge a meublé son passage à vide en aménageant sur la Côte Ouest pour purger sa léthargie créative dans des gymnases dédiés au jiu-jitsu. Les préceptes de cette discipline, tout comme la faune qui les met en pratique, ont fourni à Mamet les prémisses d’une nouvelle histoire d’attrape-nigauds bonifiée d’un supplément ésotérique. Le résultat ne manque pas de chien, mais se vautre rapidement dans des ornières usées à la moelle par le cinéaste.


Le monde des arts martiaux, comme ceux du cinéma, des affaires ou de la haute société, demeure un terrain de jeu d’hommes prêts à toutes les bassesses pour profiter des plus faibles, sinon des plus vertueux. Thème de prédilection de Mamet, la cupidité vient empoisonner la vie rangée d’un entraîneur de jiu-jitsu de Los Angeles, qui acceptera de mettre de côté ses principes humanistes et participer à un combat d’arts martiaux mixtes après s’être fait arnaquer par un promoteur et une vedette de cinéma sur le déclin. Personne, pas même sa femme designer, ne l’accompagnera au front, si ce n’est que sa nouvelle recrue, une avocate dont la bonhomie l’avait mis dans le pétrin tout juste avant le début de ses malheurs.


La juxtaposition du code d’honneur du jiu-jitsu avec l’univers m’as-tu-vu de la gente hollywoodienne constitue l’attrait principal du film, du moins de sa proposition initiale (rappelons que The Karate Kid tablait sensiblement sur les mêmes contrastes). Sur papier, les relations ambiguës entre les représentants de la loi, du divertissement, des règles de vie zen et même de la prestidigitation pouvaient laisser présager une équation étonnante, presque surréaliste; au grand écran, la manière Mamet, qui consiste à exposer les vertus du héros en entrée de jeu pour mieux lui faire payer sa crédulité par la suite, a tôt fait de banaliser cet amalgame d’environnements au service d’un suspense boiteux et prévisible plusieurs bobines à l’avance.


Pour peu, Redbelt aurait pu se donner la peine d’être un faux drame sportif éclipsé par les magouilles en vestiaire, mais même sa finale en forme de pied de nez aux confrontations spectaculaires à la Rocky, pèche par sa soif de justice et débouche sur un zèle de rédemption frisant l’incohérence totale. À l’image des protagonistes de la plupart de ses films, Mamet s’est laissé entraîné dans un engrenage presque fatal, celui d’assembler des éléments si éparses que seule une exécution parfaite aurait sauvé l’ensemble d’une caricature quasi inévitable.


Encore une fois, les lacunes en direction d’acteurs minent rapidement les surprises d’un scénario qu’on étire dans tous les sens. Quelle tristesse de voir Chiwetel Ejiofor, livrant ici l’interprétation la plus convaincante de sa carrière, face à un Tim Allen empoté et une Emily Mortimer franchement insupportable – comme la plupart des personnages féminins du film d’ailleurs. Quel gaspillage que celui d’avoir embarqué le vénérable Robert Elswit (There Will Be Blood, Good Night, and Good Luck.) à la direction photo d’une œuvre sans grande envergure esthétique !


Rassurons-nous, la source n’est pas complètement tarie. Même si le Mamet des grands jours semble appartenir à une autre époque, la fluidité des dialogues demeure, tout comme la force incontestable de l’auteur, sa capacité à créer des salauds parvenant à excuser leur manque de scrupules soit par d’impitoyables sophismes ou sinon, de manière plus frontale, par l’application du paradoxe du menteur d’Eubulide.


Peut-être qu’un changement de registre, même passager, serait salutaire. Faudrait-t-il se réjouir pour autant que Mamet écrit et réalise Joan of Bark: the Dog that Saved France pour Will Ferrell cette année?


© 2008