mercredi 10 septembre 2008

Portrait de Ken Russell


Rétrospective Ken Russell au FIFA
2008
Paru dans la revue Séquences


Enfant terrible dès le berceau

L’Angleterre engendre des rebelles à la pochetée, l’adage est bien connu. Rien ne se compare toutefois au séisme qu’a provoqué Ken Russell, tour à tour photographe, danseur et militaire, avant d’embraser le cinéma des années 1960 et 1970. Âgé aujourd’hui de plus de 80 ans, reclus dans son domaine aux abords du Lake District (Cumbria), où il tourna plusieurs longs métrages et téléfilms, l’impulsif et génial auteur de Women in Love est sombré dans l’oubli, malgré ses frasques à la télé-réalité "Celebrity Big Brother" l’an dernier.

Le Festival des films sur l’Art de Montréal a corrigé la situation en programmant un cycle de ses documentaires et dramatisations produites pour la télévision britannique à ses débuts, un joyeux festin de désinvolture où il fut possible de saisir le germe de la folie créatrice d’un bouffon épris de classicisme.

Russell n’a pas fait ses débuts à la télévision, il a profité de son passage au petit écran – 29 téléfilms entre 1958 et 1966 – pour établir carrément les bases de son style outrancier et faire maison nette d’un genre souvent ringard, toutes époques confondues ; le portrait d’artistes. Un des premiers à postuler que la vie personnelle d’un créateur fait partie de son œuvre, Russell a appliqué cette doctrine jusqu’à flirter avec l’outrage dans le cas de monuments, ou s’insérer lui-même dans les iconographies d’autrui.

Sa contribution à la série « Monitor », l’encyclopédie artistique de la BBC de la fin des années 1950, est innovatrice à plus d’un égard ; s’identifiant plus souvent qu’autrement à ses sujets, le cinéaste s’est intéressé d’autant plus à leurs extravagances qu’à leur évolution artistique, faisant passer le compositeur Edward Elgar pour un populiste anti-patriotique en pleine 1ère Guerre mondiale, ou bien le poète Samuel Coleridge pour un alcoolique paranoïaque.

Pendant que les colonnes des temples anglais menaçaient de s’écrouler à chaque diffusion de ces documentaires délibérément irrévérencieux, Russell pouvait compter sur l’intrépide Melvyn Bragg, scénariste devenu producteur du « South Bank Show » dans les années 1970, qui ira maintes fois au front défendre son ami. On peine à imaginer aujourd’hui ce que représentait le « South Bank Show » à l’époque, un asile culturel où étaient invités avec le même enthousiasme des Prix Nobel et des groupes punk ; tout aussi difficile de croire que son diffuseur, ITV, est encore l’une des rares chaînes privées consacrées à l’art au monde. Outre Russell, Ken Loach, James Ivory et Tony Palmer ont également réalisé des épisodes à l’occasion pour cette série retransmise dans une soixantaine de pays.

L’apport de Bragg sur la carrière et l’œuvre de Russell est crucial à plus d’un titre. En plus d’avoir été l’un des premiers à lui faire confiance en temps que réalisateur à part entière sur « Monitor » dès 1959, Bragg participera à l’écriture des dialogues et de quelques scénarios mis en scène par le cinéaste, dont The Debussy Film (1965), mais aussi The Music Lovers, le diptyque Clouds of Glory (1978) et, plus récemment, Ken Russell's Classic Widows (1995), tout en lui redonnant du travail durant ses périodes creuses à titre de producteur. Sa foi et son endossement envers le controversé réalisateurs sont totales et enviées en Grande-Bretagne et ailleurs.

À la lumière de cette production télévisuelle, on constate rapidement que Russell demeure fidèle à lui-même du petit au grand écran. Baroque et outrancier, il utilise le cinéma pour dépeindre ses sujets, comme il abusa de proximité avec des personnages de ses longs métrages pris à l’occasion dans des décors de toc; aucune démesure ou faute de goût n’est épargnée pour arriver à exprimer sa vision de l’œuvre de ses illustres prédécesseurs, avec qui Russell se compare avantageusement, sans complexe aucun.

Pour quiconque s’intéresse aux œuvres de Russell consacrées à Piotr Ilitch Tchaïkovski, Gustav Mahler, Franz Liszt, Rudolph Valentino ou Mary Shelley au cinéma, il est impératif de découvrir ses essais biographiques sur Edward Elgar, Claude Debussy, Sergei Prokofiev, Antoni Gaudí, Béla Bartok, Frederick Delius et Vaughan Williams, mais également ses expérimentations visuelles à partir des « Planètes » de Gustav Holst, ainsi que ses dramatisations des poètes William Wordsworth et Samuel Coleridge – portant le titre irrévérencieux de Rime of the Ancien Mariner: The Strange Story of Samuel Coleridge, Poet and Drug Addict.

© 2008 Charles-Stéphane Roy