mardi 21 août 2007

Critique "Le cèdre penché"

Le cèdre penché
de Rafaël Ouellet
2007
Paru dans la revue Séquences


À travers chants


Avec l’urgence de tourner sans attendre les premières subventions, Rafaël Ouellet a réalisé un premier long métrage sur un mode contemplatif. Ce contraste anime tout entier Le cèdre penché, né dans la solitude des budgets tire-pois et l’appel de la musique, des espaces reculés, des proches. Ouellet a fixé sa caméra numérique dans son patelin natal, Dégelis (Bas-Saint-Laurent), et un récit entier sur les frêles épaules de deux actrices-chanteuses à la complicité évidente.


Comme leurs personnages de Candide et Brigitte, Ouellet revient à la source pour prendre pied dans son art. Son premier long témoigne de son gagne-pain fait de clips et de docu-concerts, comme de la sensibilité propre à ses courts métrages (dont Dans l’Est) envers les gens simples, ancrés et définis par leur environnement. Le rapprochement est parfois heureux, approximatif par moments, irrésistiblement à fleur de peau; un essai ouvert déjouant ses limites plutôt que cherchant à se donner des allures « de vrai long métrage ».


N’entre toutefois pas qui veut dans Le cèdre penché. Le cadre serré, la caméra à l’épaule, le déni de la linéarité et les dialogues refoulés parfois à l’arrière-plan n’ont que faire de la séduction et du consensus. Son charme vient plutôt de la relation qu’essaient de (re)créer les sœurs Provencher (Viviane Audet et Marie Neige Chatelain), chanteuses sur le point de percer au moment où leur mère disparaît, leur laissant en héritage une maison de campagne quelconque et une discographie de chanteuse country d’arrière-pays un brin gênante. Réunies pour régler les affaires de leur mère, les Provencher couvent leur deuil à l’abri une de l’autre. Lorsqu’elles se manifestent de la fraternité, elles le font comme un vieux couple qui aurait oublié le lien les unissant à l’origine. Tandis que Candide cuve ses chansons avec insistance, Brigitte emprunte le chemin de la nostalgie, vaguant dans le village, à la radio étudiante de son ancienne école secondaire, fréquentant les groupes de sous-sol. Aucune d’elles ne sait que faire de ces retrouvailles forcées, de cette maison inhabitée, de ce coin de pays qui ne leur ressemble pas.


Elles tentent alors de se rapprocher, par la musique d’abord, puis lors de timides discussions sur l’amour, les gars, leur mère, l’inspiration. Pas si évident pour deux jeunes femmes habituées à vivre que pour elles-mêmes et leur art, peu portées sur le passé ou l’avenir. Le cèdre penché est un film borné au présent, à l’horizontale, planant dans une multitude de bulles malgré son désir de réel. Les personnages ont beau vivre en constante promiscuité obligée, ils demeurent fantomatiques, l’esprit ailleurs, errant sans être véritablement perdues, orphelines sans avoir vécu dans l’ombre de leur mère.


Visiblement, l’intérêt du film est ailleurs. Dans ses coups de têtes comme ses longueurs, Le cèdre penché affiche une volonté de cinéma peu commune dans un premier long métrage et privilégie les moyens sur l’intention, les possibilités visuelles qu’offrent ses ingénues et les atouts bucoliques du bas du fleuve au détriment d’une progression notable de sa ligne narrative. Mais le contemplatif a aussi ses limites s’il s’appuie sur un drame sans drame, une lacune que le film ne comblera jamais malgré les tentatives d’apprivoisement filial entre les soeurs.


N’empêche, le film est habité par son lot de séquences évocatrices – l’émouvant Ave Maria en entrée de jeu, les confessions par walkie-talkie, le défilé des pilotes de quatre roues, les variations en studio d’une reprise de la mère Provencher – et se démarquent parmi un ensemble autrement porté sur des scènes brèves au rythme trébuchant (ce qui étonne, étant donné l’omniprésence de la musique).


Les parallèles entre ce film et les États nordiques de Denis Côté sont aussi évidents qu’inévitables. En dépit de leurs partis pris respectifs, ces deux premiers films, tournés entre amis avec un solide bagage cinéphile, se recoupent par leur vision détachée de la région et leur propension à traquer des personnages-pèlerins introvertis aux tourments accessoires au profit de l’ambiance. Voilà d’importants efforts de responsabilisation des jeunes créateurs aux portes des institutions, la suite logique pour les représentants les plus dégourdis de la génération Kino, minée toutefois par de sérieuses lacunes de scénario, le refus du discours, le dépouillement à tout prix et de la subversion de l’approche documentaire. Si le passage du court au long et la maîtrise de l’improvisation représentent des défis en soi, Le cèdre penché s’arroge le droit d’empiéter dans la cour des professionnels sans demander la permission, au risque de larguer le spectateur en cours de route.


© Charles-Stéphane Roy